Dominique, la grisonnante.

Avant de faire la connaissance de Maria, elle n’était que verdure. Véritable nuancier de la couleur de l’espérance, son assiduité à n’omettre aucune tonalité n’avait d’égale que son inventivité à décliner les assemblages les plus improbables, capable de marier émeraude et bouteille, ou kaki et caca d’oie…

Puis, l’ébouriffante Maria a ramené sa fraise, imposant un brushing que personne ne lui avait commandé. Avec un zèle maladif autant que déplacé, elle a sans vergogne ratissé tout ce vert. Sa brosse métallique géante a déplumé les arbres les plus robustes et mis à terre les souffreteux.  Dehors les pégreleux ! Totalement ébouriffé le pays. Le vert est devenu gris brun…

A présent, la Dominique offre au regard du navigateur croisant au large le spectacle d’une forêt ratiboisée, effeuillée, ratissée : une coupe en brosse grisonnante et trébuchante (jeu de mots approximatif). Elle n’est pas moche pour autant; il semblerait que cette île ne sache l’être. Mais, le contraste avec la luxuriance passée n’a de cesse d’être assez saisissant ça c’est sûr…(allitération à deux balles).

Le navigateur de passage, parlons-en. Une grande partie des « yachties » frappés de sédentarité galopante qui peuplent certaines contrées confortables du sud de la Martinique, individus ordinairement peu soucieux de ce qui se passe chez leurs voisins dominicais, colporte avec insouciance l’idée qu’il serait « plus prudent » de ne pas y faire escale. Quelle hérésie, quelle sottise, quelle méconnaissance et surtout quel mépris pour ces Dominicais qui voient passer sur l’horizon, au large de leurs côtes, nombre de navires semblant fuir un quelconque danger et qui ne s’arrêtent pas. Je ne parle pas de Roseau, qui, comme nombre de capitales de par le monde abrite une quantité de malappris peu scrupuleux nettement supérieure au reste de l’île, sans, toutefois excéder la proportion « d’homo malfratus » que l’on peut croiser dans la plupart des agglomérations ultramarines bien françaises. Mais ou m’égare-je, ce n’est pas le sujet.

En ce lundi de novembre 2017, deux mois se sont écoulés depuis les turpitudes de Maria, et Portsmouth présente toujours un visage fortement tuméfié. Les fils électriques, sombres spaghettis indigestes, dégoulinent en accroche-cœurs enchevêtrés de leurs poteaux chancelants à la verticalité mal dégrossie. Désolation. Mais, pas misère cependant. Partout les fatras de bois pré dévorés par les tarets côtoient des monticules de tôles froissées, ainsi que d’autres tas (sans falaise…) plus ordonnés, de matériaux neufs, partiellement entamés par les reconstructions en cours.

L’ouragan a frappé sauvagement, aveuglément, n’épargnant personne. Pourtant, les dommages subis semblent inégalement répartis. Certains édifices paraissent quasiment intacts, cependant que d’autres sont réduits à un tas d’immondices au plus pur style « décharge à ciel ouvert ». Pas étonnant si l’on considère que le pays comptait, avant Maria, un nombre considérable de constructions merdiques prêtes à faire l’épave à la première soufflette d’été…

Les plus démunis, et pas seulement sur le plan pécuniaire, ont à peine entamé le déblayage de leurs décombres que, déjà, certains dégourdis achèvent leur reconstruction. C’est le cas de Sandy et Charly dont l’établissement roboratif nommé « MADIBA », joli bar-restaurant solidement campé sur ses pilotis au nord de la très fameuse « Prince Rupert bay », exhibe sans fausse pudeur sa toiture neuve pour la plus grande satisfaction d’une clientèle locale déjà bien présente, en attendant les voyageurs de la saison d’hiver à venir.

En ville de Portsmouth, dans ce décor étrange mêlant des morceaux de « fin du monde » et des embryons de reconstructions prometteuses, les gens ne paraissent ni tristes ni déprimés, donnant à penser que ce monstrueux coup d’aspirateur céleste les a débarrassés d’une couche de crasse qui les empoisonnait depuis longtemps, pour enfin faire place nette. Tourner la page, et repartir sur du neuf. Les aides financières apportées par certains pays ont donné au gouvernement les subsides nécessaires pour rémunérer des gens chargés de nettoyer, déblayer, débroussailler, puis reconstruire. Ainsi, on ne voit plus beaucoup de glandos trainer dans les rues, une canette à la main, ou un tarpé au bec, ou les deux…Aujourd’hui, en Dominique, ça bosse !

La plupart des routes sont praticables, ce qui autorise dès à présent de belles ballades dans l’île. Pourtant, peu de bateaux fréquentent la baie en ce moment. Quatre, cinq, parfois seulement un ou deux. Malgré cela, les boy’s boat ont repris du service. « Laurence d’Arabie » est venu nous accueillir, et Micky, sur sa planche sans voile déglinguée fait l’éboueur pour un euro-cinquante le sac poubelle…Il nous signale qu’il peut aussi caréner en apnée…si besoin, et qu’il cherche une épave de hors-bord 15cv Yam pour réparer le sien et équiper son futur canote. Merci de partager…

Pour conclure, je dirais simplement: « amis vagabonds nautiques, je vous le dis tout net, ne boudez pas la Dominique. Elle mérite votre visite, et vous y êtes attendus ».