Sainte Hélène, samedi 22 Février, midi.

Le temps maussade, et les diverses activités plus ou moins obligatoires, nous ont séquestrés à bord toute cette matinée. Cependant que nous déjeunons, une silhouette se précise sur l'horizon, arrivant par l'Ouest....Persian Lady! la morue persée. Rappelez vous, les Maldives. Ce bourrier équipé d'un couple d'Anglais, malpolis et sans-gêne, qui avaient eu l'indélicatesse de nous invectiver d'un invraisemblable "fucking frenchies", alors même que la seule vue d'un pauvre suppositoire nous intimide au delà du raisonnable......, c'est vous dire. La grognasse s'était, en sus (attention à l'othografe......), permis de me proposer ses conseils sur la manière de mouiller Catafjord.....Ces bouffons ont quitté Walvis bay quelques heures avant nous (c'est la douanière qui me l'a dit), et ils arrivent seulement maintenant......trente heures de plus!, et nous ne disposons que de la voilure de base; pas de spi, pas de gennak. Mais alors, ne serait-il pas de bon ton que je leur propose, à mon tour, quelques conseils de navigation, en échange, disons.....(tout de même, des conseils pour mouiller émanant d'une anglaise persée......, comprenez que je sois un peu réticent.....).

Lundi 24 Février;

Un joli monocoque de 52', du nom de "e-one", vient s'amarrer à un des coffres proche du n°13, qui retient Catafjord. C'est un Dufour 525, équipé par deux italiens, Aldo et sa belle-soeur Alfonsina, surnommée Alfo. Nous les avons souvent croisés en Afrique du Sud, mais sans avoir jamais rencontré l'occasion de lier connaissance. Grâce à la complicité de l'équipage de Ushuaïa, arrivés hier soir, et qui les a un peu cotoyés, la connection s'établit rapidement. Dans l'enthousiasme du moment, Aldo propose alors de partager l'espadon de cinquante kilos qu'il a ramené à bord hier...... Malou conclut en invitant tout le monde à l'apéro à bord de Catafjord.

C'est ainsi que notre joyeuse équipe, motivée par un commun élan apéritif, échafaude le projet de visiter l'île tous ensemble, à bord d'un minibus que nous affrêterons pour l'occasion; tout confort, guide multilingue, traduction simultanée, minibar, musique d'ambiance, animations diverses et "tutti quanti"....la klasss!

Mardi 25 Février;

jour de l'excursion cinq étoiles!!!!!

Ah ça, question ambiance, rien à dire; y en a de l'ambiance. Par contre, coté confort, on pourrait déjà causer un peu....., et alors, pour ce qui est des cinq étoiles.......comment dire?....étoile d'araignée, peut-être....

Action:

il est 8h30; notre sympathique et volubile groupe Napoléophile attend le véhicule sus-décrit, en piétonnant sagement, face au fils du tourisme. Isa s'est occupée de tout; la sérénité habite nos coeurs confiants.....mais, la voici justement qui sort du bureau.....la mine un peu contrite.

Comment se fais-ce?

à l'aube d'une si belle journée.....ah.....ça se présente mal, semble-t-il.

Incompréhensible! impensable, inenvisageable!

Isa, que se parents destinaient à une magistrale carrière de tour-opérateuse, Isa en qui chacun de nous avait mis une confiance mal-voyante, Isa qui a manqué d'un rien son doctorat en tourisme international option Bonaparte manchot (pour l'hiver), cette Isa là ne peut nous abandonner, comme ça, nous laissant patauger dans notre ignorance crasse de la vie intime de l'empereur au moment de sa mort....

Cependant que nous devisons avec véhémence de notre provisoire infortune, une bétaillère cahotante vient à se garer, sous le feu nourri de nos plaisanteries désinvoltes, à l'emplacement précis où eut dû se trouver le fameux minibus..... n'insistons pas.

"Si ça se trouve, on va se retrouver dans une benne comme ça", prophétie l'un des notres. Eh, bien, qu'on le cannonise tout de suite; c'est exactement le cas!

Le papy qui en sort nous aborde avec gentillesse et enthousiasme, accompagné d'un solide accent indéfinissable, et facilement inconpréhensible.

Dans le clan touristique, c'est la consternation......

durant une minute, pas plus; car le marin se doit de rebondir sur le dos de la vague scélérate qui lui a transformé son minibus en transport de troupes.

Et donc, hop, tout le monde dans la benne, à l'exception des deux petits veinards qui vont pouvoir se culturer dans le poste avant en compagnie de pépé.

Pas de mauvaise surprise;.....mais pas de bonne non plus. Disons qu'avec une condition physique corrèque, ça passe....bon, question confort......y aurait à redire: monter-descendre de la benne toutes les cinq minutes, y cheminer plié en deux jusqu'à sa place, puis se laisser tomber sur la banquette en bois d'arbre, les lombaires virilement caressées par les ridelles en ferrailles, un genou contre chaque oreille; dans un cahotement de chemin vicinal......, et la chariotte repart jusqu'au nouvel arrêt. Là, tout le monde descend; les plus rouillés mettent deux minutes et demie à se déplier, cependant que notre original guide livre moult anecdotes concernant la curiosité locale,.....que nous ne verrons pas, car, hélas, c'est fermé en ce moment!

Mon taux de compréhension de son baratin ne dépasse pas les 15%....cependant que, mon copain Aldo, avec son air de celui qui a tout capté, (ces ritals, quel frimeurs!) avouera bientôt ne pas dépasser les 50% (ce qui est déjà mieux que moi......). Bah! qu'importe, nous avons en poche le petit fascicule qui explique tout ça en détail et en bon français. Concentrons nous plutôt sur le coté esthétique de la promenade. Là, pas de déceptio; cette île est fort jolie. Bien sûr, s'agissant d'une facétie volcanique surgie du fond des abysses, certains paysages versent dans une austérité lunaire, mais il y a également quantité de collines verdoyantes et de vallons arborés, souvent mis en valeur par un arrière-plan "first class": la mer.

Et puis, les dernières nouvelles de notre patrimoine Bonapartien sont plutôt bonnes: les sites de visistes sont maintenus dans un état de propreté exemplaire, l'herbe est coupée ras, pas de poussière sous les meubles, ni de toiles d'araignées au plafond.....petite fausse note: la tombe est en dérangement....; on ne pas la voir, elle non plus, mais, bon....elle est vide si j'ai bien compris, alors......avec la photo, ça devrait suffire.

Bilan: une très bonne journée; et nos nouveaux amis ritals se sont révélés de bien agréables compagnons d'excursion.

Alors, disons que Sainte Hélène justifie amplement le détour; surtout que la gentillesse de ses habitants ajoute encore un peu à l'agréement du séjour.

18h, voilà que l'ami Benoît vient apporter sa touche de joie simple en arrivant au mouillage à la tombée de la nuit, juste à temps pour partager notre dîner, et sans omettre, de distribuer à tous un morceau du thazar qu'il a remonté en arrivant.

26 Février, le programme est moins festif ce matin.

Il s'agit de donner un coup de main à l'équipage du Lagoon42 Ushuaïa, lourdement empétré dans les suites fâcheuses de leur avarie de safran. Quelques coups de scie sauteuse, caresses de lapidaire et chatouilles abrasives, accomodées d'une bolée de verre-epoxy rehaussée d'un clin-d'oeil de carbone/kevlar (juste pour la beauté du geste), et voilà le travail! la matinée est pliée avant que d'avoir compris. Ils devront maintenant attendre demain, pour procéder au remontage,afin que la résine soit bien polymérisée.

L'appareillage de Catafjord pour sa traversée est fixée à cet après-midi.

16h; le temps est magnifique, et nous partons avec joie pour 1800 milles de traversée.

"e-one" nous suit, quelques heures plus tard.

En nous éloignant de Ste Hélène sous le soleil, celle-ci nous apparait incomparablement plus avenante et guillerette que lorsqu'on approche ses abruptes falaises, déplumées et torturées comme un lendemain d'Hiroshima.

Nous en apercevrons encore les lueurs une bonne partie de la nuit, avant que le grand large ne nous happe dans son univers clos, pour une poignée de jours.

Lundi 3 Mars; sixième journée en mer.

Pas de doute, les dieux se sont entendus entre eux; et leur conspiration vise à me faire passer l'envie de navigations motorisées.

Ah, je vois d'ici les trognes avinés de quelques potes (t'es pas le dernier Hervé), voileux intégristes, se fendre d'une oreille à l'autre avec la satisfaction dérisoire que donne le sentiment d'avoir raison.

Ce début de traversée se trouve être une suite ininterrompue de moments de grâce; on croirait naviguer sur les eaux aimables d'un lagon sans motu, dont la barrière annulaire serait située au delà de l'horizon. Tout est beau! l'ensemble des acteurs de la scène semblent animés d'un élan de bienveillance à notre égard.

Par contre, nous avançons comme des lambies en convalescence; mais quelle importance?

Dans de si agréables conditions, nous sommes bien peu motivés à "économiser" un ou deux jours en mer; au contraire même. Catafjord, aves ses carènes propres, glisse gentiment, sans sillage, poussé par cet alizé timide qui s'énérve parfois jusqu'à.....quinze noeuds, sous un nuage.

Dans ce contexte, les vagabondages de l'esprit s'orientent volontiers sur le vaste sujet de la propulsion vélique.....

Et c'est là que l'on peut voir mes vieilles voiles de planche reprendre du service, se prenant momentanément pour des volets hypersustentateurs...

et mes carnets de se garnir de croquis, illustrations de plein d'idées toutes plus géniales que les autres, mais qui ne seront sans doute jamais rien d'autre que gribouillages d'enfant

A Ste Hélène, nos amis italiens de "e-one", ainsi que notre Benoit volant, ont bien oeuvré, à assoupir, pour un temps encore, les velleités de pêche à la traine que j'avais un peu réactivées en équipant correctement quatre lignes (sans compter celle que Charlie m'a offerte en remerciement des trois coups de disqueuses que j'ai mis sur son safran africain, à incidence variable malgré lui...). Bref, fort de ce que les freezers sont déjà remplis de thazar et de marlin, les lignes de pêche resteront encore au placard pour un certain temps, et c'est très bien ainsi.

Vous ais-je entretenu de la complicité qui s'est établie entre l'équipage de Catafjord et son passager clandestin, Gégé, probablement embarqué en Afrique?

Bien qu'issu d'une terre à la population majoritairement noire, Gégé est pale comme un pensionnaire d'hospice; limite transparent même. Malou affirme l'avoir vu changer de couleur en fonction du support qui le porte, à la manière d'un caméléon....je n'ai rien obsérvé de tel. Le dictionnaire m'apprend qu'il serait bruyant....pas remarqué non plus. Lors de ses premières apparitions, Gégé semblait se cantonner aux seuls quartiers adjacents à la timonerie. Cependant, depuis, il a été vu du coté de la cuisine, et même dans notre cabine, où il s'est permis la délirante familiarité de sauter sur l'épaule de Malou (qui s'était approché inconsidéremment en tentant d'établir le contact au cri de "petit, petit, petit....").

Bref, Gégé le gecko n'est pas un compagnon envahissant, et nous lui souhaitons une agréable traversée.

Dixième jour;

la croisière vermeille se poursuit, toujours sous les mêmes auspices.

Parfois, une grappe de nuages s'assemble, en une association de malfaiteurs célestes, accouchant d'une inquiétante masse sombre, qui ne tarde pas à déverser son eau, en grain, poussant devant elle un surcroit de brise éphémère, tel un monstrueux pet du ciel, mouillé, mais heureusement inodore

Catafjord progresse en dodelinant doucement sur les vagues, comme bercé par les bras bienveillants de sa mer. Tant de félicité durable, dans cet univers tout de bleu semble un peu irréel. Quel contraste par rapport à la navigation le long des côtes d'Afrique du sud! Ici, la nuit tombe sans que nul étau ne vienne prendre les coeurs humains entre ses froides machoires d'acier comme pour signifier: "caisse tu fous-là, toi?, t'a'are ta gueule".

Il arrive parfois, la nuit bien sûr, toujours la nuit, qu'un lourd nuage, tapi dans les ténèbres, vienne jouer à l'épouvantail en soufflant sa vile survente et en déversant son humeur fielleuse sur nos groins ensommeillés....cependant, même dans ces moments, aucune méchanceté n'est palpable, et l'on ne ressent alors qu'un aimable rappel des règles élémentaires, un peu à la manière un grand père tirant l'oreille de son petit-fils qu'à pas dit bonjour à la dame.

Pensée philosophique du jour:

On serait tenté de penser que, nourrir son enfant au sein, ce n'est pas la mère à boire.....et pourtant, il est bien évident que si.

Mardi 11 Mars;

depuis un moment il nous survole, décrivant inlassablement des "huit" en coupant le sillage de Catafjord; c'est étonnant cette manie qu'ont certains oiseaux de mer à accompagner les bateaux de rencontre.

Le fou de bassan est un volatile magnifique, fin, élégant, racé, efficace, il semble ne jamais se fatiguer, alternant les périodes de battements d'ailes réguliers, et les moments en mode planeur. Soudain, cette merveilleuse harmonie se rompt. Lanimal opère simultanément, un quart de tour rapide, et un repli de voilure, passant instantanément en mode "piqué". Les ailes repliées en un mortel "W", il fond sur la proie que son regard perçant de prédateur vient de repérer, et plonge chercher son casse-croûte aussi simplement qu'un sale gosse rentre au Macdo. Epoustouflant! (le fou, pas le gosse...).

10h; le vent a bien molli, et il nous a fallu avoir recours au diesel pour assurer une arrivée avant la nuit. En définitive, nous les avons peu sollicités, les Yanmar, durant cette lente traversée entièrement placée sous le signe du petit-temps, et nous rentrerons à Jacaré avec plus de 500 litres de carburant dans les réservoirs......un peu couillon, peut-être.

Dans une poignée de minutes, Catafjord va recouper son sillage de 2008, signant ainsi le bouclage du tour du monde.

Une page se tourne.....

Notre quotidien n'en sera pas affécté avant encore quelques semaines, puisque notre premier projet est de rejoindre la Guadeloupe, où il semblerait que nous soyons attendus.

Et nous tâcherons bientôt de trouver, pour Catafjord, un nouveau propriétaire qui soit digne de lui.

15h;

Les chiures de mouches, apparues sur l'horizon vers midi, se sont métamorphosées en immeubles bien auguleux et bien laids: Joao Pessoa. C'est curieux comme les interventions humaines sur la nature ont plus vite fait de la saloper que d'en augmenter l'attrait. Nous sommes à moins de 10 milles de l'entrée de la rivière; le Yanmar tribord ronronne régulièrement, tout comme le groupe éléctrogène qui a permis à Malou de faire ses premières lessives brésiliennes. Le linge sèche aux filières; c'est cool.

La chaleur est écrasante, et la grand'voile, seule encore à poste, sert surtout d'ombrelle, apportant seulement quelques dizièmes de noeuds à notre progression.

Pour ma part, s'achève là ma douzième transat; c'est la onzième pour Malou et la cinquième pour Catafjord.

Cette traversée aura été particulièrement clémente, et, pour tout dire, ravissante. Un modèle du genre, digne d'une croisière en paquebot. La mer et le vent nous ont soigné; tout s'est passé comme dans un rêve; no stress, no damage, comme disent les brésiliens qui ont fait anglais en première langue.....

Pour autant, les petites merdouilles diverses et variées, laissées en plan avant le départ, ne se sont pas racommodées toutes seules non plus. Faut pas exagérer; Jacaré, c'est pas Lourdes (comme ont dit chez les mollusques).