Samedi 2 Novembre; journée fructueuse! pas tellement en ce qui concerne la découverte du Mozambique et des Mozambicots, car nous n'avons toujours pas foulé aux pieds cette contrée aux relants de découverte aventureuse et d'opportunités de s'envoyer en l'air......grâce aux nombreuses mines antipersonnelles encore tapies sous les buissons de certaines régions (peu fréquentées, heureusement). Bref, en cette journée maussade, pas de tourisme, mais rendez-vous avec le succès sur deux besognes incontournables: dépannage du guindeau, et, du groupe éléctrogène (rien de bien grave; juste quelques petites tracasseries ordinaires, et, ce soir, ça marche!). En sus, c'est samedi, et donc, le jour du boujaron de tafia.

Dimanche 3 Novembre; le marchand de vent de sud qui nous a confiné ici n'a pas encore épuisé sa réserve de rafales dans le pif, et, ça ne tombe pas si mal si on considère les quelques besognes indispensables à éxécuter avant d'appareiller, et qui figurent toujours sur la liste.....Au premier rang de celles-ci, une belle scéance de matelotage. Ce n'est pas ma spécialité, hélas, et je le déplore, car je vois parfois certaines réalisations qui me font bronzer de jalousie. Un des récents progrès notoire concernant nos modestes barcasses touche les fibres dites "éxotiques"; ainsi, actuellement, nombre de pièces fortement sollicitées ne sont plus réalisées en métal, mais en ......ficelle. Fort de la petite réserve de dyneema rapportée de métropole, je m'attaque donc à rénover complètement le pouliage d'écoute de grand'voile, dont les manilles ont perdu la moitié de leurs sections par usure, et ont commencé à se briser.....ce qui peut être fort dangereux, car il y a plusieurs tonnes de traction dans cette manoeuvre, et la rupture d'une poulie, par exemple, pourrait transformer le faciès de celui qui se la prendrait dans les gencives.

En ma qualité d'arpette dans cette spécialité, il me faudra toute la journée pour en venir à bout....... et ce n'est qu'une version "test".

Lundi 4 Novembre; le baro est remonté; le soleil pointe à l'heure, et la rivière s'anime de dizaines de barques jouant leurs rôles de "bus de mer", à l'ancienne, en mode "fifty": voile latine et pigouille, et, bien entendu, on joue habilement avec courants et contre-courants. Deux clampins courent le long de la plage avec des vociférations de gorets qu'on émascule au chalumeau: ils ont loupé leur tram nautique......No problem: la barcasse, chargée ras-le-liston de sa douzaine de passagers, se déroute, et va beacher un peu en amont, de manière à récupérer les deux retardataires..... c'est pas du service ça?

Ainsi qu'il est logique, ces embarcations Mozambigottes présentent de nombreuses similitudes avec leurs voisines Malgaches. Pourtant, on remarque aussi quelques bizarreries locales, tels ces curieuses barques monoxyles, si peu effilées que je ne saurais les qualifier de "pirogues", tant elles tiennent fort du sabot breton, avec un doigt de "Panama box"; incroyable! on dirait des modèles réduits de péniches. Les voiles latines, par contre, se ressemblent comme des caleçons, avec, tout de même une différence: ici, le mât, plus court et plus sur l'avant, porte l'antenne toujours du même bord, quelle que soit l'amure, ce qui facilite grandement la conduite du bazar.

Bien que n'ayant fait aucune formalité, nous nous autorisons une petite ballade à terre, dans la plus complète illégalité (mea coule pas....).

Sans être l'opulence, les gens semblent ici moins démunis qu'à Mada; plus souriants aussi. Coté habillement, le Mazambigman semble plus attiré par des vêtements "ordinaires" que par des guenilles.....question de mode sans doute....Egalement, leurs vies sociales nous ont paru plus structurées, et mieux organisées qu'à Mada. Les palmes tombées des cocotiers sont aussitôt ramassées et tréssées entre elles pour en faire des panneaux. Le bois est débité et stocké à proximité des zones d'entretien des canotes. Les espaces communs sont propres et bien entretenus.

Jeudi 7 Novembre; peu de bateaux font escale à Inhaca. Son immense baie offre une belle rade d'attente pour les cargos, mais est nettement moins accueillante pour de petits bateaux. Cependant, la raison majeure de sa desaffectation de la part des vagabonds est ailleurs: sa désolante réputation qui provient du comportement de son comité d'accueil gendarmo-douaniais.....les pandores maritimes s'y adonnent volontiers à de regrettables opérations de rackett, à leur profit exclusif, bien évidemment.

Et c'est exactement le problème qui nous préoccupe en ce matin gris, nous qui avons choisi cette escale pour y patienter deux jours; soit le temps nécessaire pour réparer quelques bricoles qui ont merdé pendant la traversée, et pour laisser passer cette vilaine dépression qui nous barre la route de Richard's bay. Donc, voici que se pointe vers nous une mauvaise barcasse en polyester d'une huitaine de mètres de long, fringante comme une clocharde avinée, et équipée de cinq mozalambiquets, rigolard comme des fossoyeurs, et qui se disent représentants de l'état....

Premier contact "prometteur": le fort clapot qui agite le mouillage, allié au peu de dextérité du barreur, agite dangeureusement la ferrure bavante de rouille qui orne leur étrave, et vient bientôt heurter la poupe de Cataf dans un vilain bruit de bois cassé. Coup de boutoir qui semble annoncer de manière imagée: "devinez un peu ce qu'on est venu vous faire?"....

Ils veulent des sous! ......et ça tombe mal, car nous, on veut pas leur en donner. Discussions, palabres, argumentations, "et l'hospitalité dûe au marin en avarie?".....il semblerait qu'ils s'assoient dessus. "De toute façon, on n'a pas un centime à bord; seulement une carte bancaire, alors.....". Au bout d'une heure, notre fermeté n'ayant pas failli, les receveurs de l'état mollissent et capitulent: "bon, ben alors, exceptionnellement, on vous fait un cadeau: vous pouvez rester deux jours, sans bouger du bord et sans mettre pied à terre". Voilà qui assouplie bien la situation. "Eh bien, si c'est comme ça, nous aussi on vous fait un cadeau; tiens voilà un cubi de vin rouge".....ainsi, c'est à grands renforts de saluts joviaux que nous prenons congé, comme de vieux amis. Moins une on sortait même les mouchoirs.....

Samedi 9 Novembre; le soleil n'est pas encore sorti de son lit lorsque l'ancre, elle, quitte le sien pour rejoindre son davier et permettre l'appareillage. Après un délicat moment de rase-cailloux, pour économiser quelques milles, les eaux agitées de l'Indien recommencent à nous chahuter. La brise étant faiblarde, on attaque en mode "fifty", voiles et moteur, le temps, au moins, de s'éloigner un peu de la côte. En fin de matinée, Eole se décide à se mettre au boulot, et nous envoie suffisamment d'air pour mettre la bécane au repos. Par contre, il faudra attendre le milieu de la nuit pour toucher enfin ce fameux courant des aiguilles qui va nous offrir presque deux noeuds de bonus..... de quoi échafauder des projets d'heure d'arrivée....aïe, aïe, aïe, exactement ce qu'il ne faut jamais faire.

Quatre heures du mat: les premières lueurs du jour chassent les derniers souffles de ce bon petit vent qui n'a pas failli de toute la nuit, et dévoilent à nos yeux, brouillés du manque de sommeil, un ciel de fin du monde, sombre et tourmenté....pas grand'chose de bon à venir....et d'ailleurs, justement, c'est rapidement la misère; il revient du vent droit dans le pif, faible au début, puis vingt cinq noeuds, et avec ça, une mer épouvantablement torturée: le raz de Sein à perte de vue. J'aime pas. Tous les moyens sont bons pour s'échapper de ce guépier: grand'voile à trois ris, génois à deux ris, et moteurs à mi-régime. Après trois heures de lessiveuse, nous voici enfin dans l'avant-port de Richard's bay, et c'est le moment que choisit le moteur tribord pour s'arrêter inopinément. L'ingratitude de ces machines: moi qui lui ait changé ses filtres avant de partir pour lui être agréable.....impossible de venir à quai dans le petit port encombré de "small craft harbour", sur un seul moteur. Nous mouillons, en lisière du chenal des cargos, le temps d'identifier le problème et de le solutionner.

17 heures du soir....Cataf est amarré au quai d'embarquement des charters, juste en face de la pancarte qui l'interdit.....et devant une enfilade de restaurants à la musique trop forte; après ces dernières semaines d'isolement relatif d'avec ce monde trépidant où l'argent coule à flots, la douche est fraiche. Pour le moment, nous ne pouvons qu'attendre la visite des autorités, sans entreprendre quoi que ce soit. Malou est tout de même partie en vadrouille pour acquérir les ingrédients magiques qui nous permettront bientôt de revenir dans le monde fabuleux des internautes.

Vendredi 15 Novembre; Zululand marina, bien que fort accueillante, ne peut héberger Catafjord, car elle est positivement bondée. Aussi, une nouvelle fois, c'est par le truchement de notre brave Rocna que nous sommes solidaires du sol africain, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Par chance, quelques amis, et pas parmi les plus moroses, sont également en escale ici, ce qui conduit à une succession de soirées rigolardes, occupées à babiller sur des sujets majeurs tout en asséchant consciencieusement quelques bidons de tafia. L'endroit est des plus agréables; un peu à l'écart des trépidations citadines, nous sommes entourés de verdure, de plages, et d'une intéressante variété d'engins flottants, allant du paddle au Hobie Cat, en passant par les kayaks, et les inévitables jet-ski (qui se comportent ici avec beaucoup de civisme). Par contre, point de boutres ni de pirogues à balancier aux voiles en patchwork de sacs de riz.....c'est "retour chez les nantis". Les gens sont avenants et bien "rendants de services", ce qui donne une indéniable chaleur suave à notre séjour.

L'Afrique du sud, elle me fait l'effet d'être la Bretagne de l'Afrique; située tout au bout là-bas, les cocotiers se raréfient au fur et à mesure que les passages de dépressions se font, eux, plus fréquents et plus tétus. Ca a son charme.....Bon, ben, là maintenant tout de suite, par exemple, c'est ciel gris et pluie.....mais ce n'est pas comme ça tous les jours; et puis, il y en a qui aiment.

Sinon, pour faire quelques bricoles sur le canote et remplir les étagères de pièces de rechange, pour remplacer celles qui ont été consommées lors des différents séjours chez les pauvres, c'est l'idéal....Parce que, c'est pas pour critiquer, mais je trouve que le pauvre est un peu trop laxiste sur la tenue de son stock de pièces de rechange pour bateaux de passage......et là, je dis: ils font fausse route. Après celà, le pauvre va s'étonner de rester pauvre.....je constate que le pauvre ne réfléchit pas toujours suffisamment aux conséquences de ses actes.....alors qu'il ferait bien.....

Samedi 16 Novembre; anniversaire de mariage: trente neuf ans. C'est à bord de Coyote ( ça s'écrit "Coyote", mais ça se prononce "Couilloute") que la joyeuse équipe de siphonneurs fête avec nous ce moment de franche camaraderie où se mêlent les vociférations de ceux qui ont l'impression de chanter, les gesticulations grotesques de ceux qui ont l'impression de dancer, et les exactions regrettables de ceux qui trouvent très amusant de me sauter dessus pour me déculoter incapables qu'ils sont à résister à leurs coupables pulsions de gérontophiles compulsifs.....bref, poilade et fendage de gueule sont les deux mamelles hypertrophiées de cette soirée, hélas pas tellement arrosée.....mais bon, c'est pas le but non plus, et les crèpes de Pascal sont fameuses et juste cuites comme il convient.