Lundi 21 Octobre; depuis deux jours, nous avons repris notre cabotage vers le sud, le long de la côte Malgache. Assez peu d'abris naturels jalonnent notre route, nous obligeant à jongler avec tous les paramètres si nous voulons dormir au calme. Pour autant, c'est de la jolie navigation .

Partis dès le lever du jour ce matin, à la faveur du courant de jusant, nous arrivons devant Majunga vers 14h, propulsés à onze noeuds par la brise de mer. Escale stressante en vue. Rien n'est prévu pour accueillir les nomades à voiles, et la ville traine une réputation sulfureuse. C'est ici que nos amis canadiens, Réjane et Denis, ont été attaqués (à l'arme blanche par des voleurs noirs), nuitament, il y a quelques années de celà.... Nous mouillons à proximité du port des boutres, lequel accueille fréquemment quelques comoriens peu scrupuleux...

Cette escale a un but bien précis: faire nos formalités de sortie officielle de Mada, car nous avons finalement décidé de traverser le canal du Mozambique à partir de Baly bay, comme la plupart de nos amis. Un diable de clapot complique un peu la mise à l'eau du Newmatic, mais, une fois à terre, tout se passe bien, et vers 16h, les précieux documents sont à bord. Inutile de nous attarder dans ce coupe-gorge; nous appareillons immédiatement pour Katsépé, berge d'en face, à cinq milles d'ici. L'eau du fleuve est rouge du sang de la terre; on a l'impression de naviguer sur un "bloody Mary". A l'heure ou le lampion céleste disparait derrière le village qui s'anime avec le retour des bateaux aux ventres alourdis de marchandises, Catafjord s'immobilise à distance raisonnable, et son équipage se barricade prudemment à l'intérieur, alarme en service, vaguement inquiet......, mais pas trop,.....et encore moins aprés l'apéro.

Mardi 22 Octobre; Katsépé est un gros village, d'environ deux mille âmes, à l'ambiance nettement africaine. Indolent aux heures chaudes, les matinées et soirées grouillent du va-et-vient des pirogues, boutres, "ferry" et embarcations diverses qui charrient tout le trafic de marchandises et d'humains entre Majunga et le sud de la région. Tout se passe sur la plage, idéalement située et exempte de clapot. Les bateaux viennent "beacher", et tout est trimballé à dos d'humain, en une procession disparate de bipèdes aux pantalons retroussés. Une rangée de boutiques en bois à toits de palmes dispense nourriture, boissons, et.....cartes de téléphones. Ici, comme dans bien des pays pauvres, la première nécessité, après le gite et le couvert, c'est le portable! L'humain est-il intrinsèquemment si stupide, ou bien alors les cadors de la finance et du marketing sont-ils à ce point diaboliquement efficaces? personnellement, j'aurais mis un tas d'autres trucs en priorité, avant l'acquisition d'un téléphone ( ne serais-ce que l'apéro....), mais, bon, c'est chacun son goût.

Mercredi 23 0ctobre; Appareillage au petit jour, pour cause d'étape longue. Falaises magnifiques, rouges et blanches: la terre semble avoir été croquée par quelque géant vorace dont on croirait deviner la trace du dentier dans la roche. Le vent a décidé de nous empoisonner la vie aujourd'hui; à l'approche de chaque pointe, alors qu'on se réjouit toujours trop tôt à l'idée d'abattre un peu, il refuse, encore et encore, tant et si bien que l'essentiel du trajet se fait au plus près....pour finir, ça fraichit à plus de vingt cinq noeuds (alors que je n'ai aucune envie de prendre un ris....), tant et si bien que les derniers milles sont avalés "tout dessus" à treize noeuds, au bon plein, cette fois. Par chance, un thazar s'inscrit au dîner, et nous retrouvons nos "ratepi" avec plaisir. Leur compagnie nous sera bien agréable,car cette escale de Baly bay est la dernière sur Mada; aussi, nous enclanchons tous le mode "traque de la bonne fenêtre météo".

Vendredi 25 Novembre; c'est la règle ces derniers jours: le début de matinée est consacré à l'étude des fichiers météo, dans le but de déterminer le meilleur moment pour appareiller. Deux éléments majeurs sont pris en compte: la rapidité et le confort; c'est le module "routage" de notre logiciel de navigation qui me permet de simuler les navigations à venir, en fonction des prévisions de vent et des capacités du bateau. Le jeu consiste à éviter le petit temps et les forts vents contraires, relativement fréquents dans la zone (où l'on voit, encore une fois, la supériorité du canote à propulsion mécanique, lequel ne cherchera à éviter que les forts vents contraires, tous les autres cas de figure pouvant très bien convenir).

En attendant la bonne fenêtre, comme on dit chez Pasquet (plaisanterie "spécial Hubert"), les habituelles occupations de voyage avalent les jours, nous privant d'une quelconque inactivité: visite au village voisin, emplette de quelques babioles pour écouler les derniers "ariarys", ballade le long de la côte avec les "pirates" pour prendre la douze millième photo de lémurien, et la sept mille deux centième photo de flamand rose. Bon, je reconnais que l'envol d'une escadrille de ces volatiles offre un spectacle plein de grâce et de majesté, ......et aussi de belles couleurs, surtout du rose et du noir, mais avec aussi le bleu du ciel, même que, des fois, sur le soir, il est pas que bleu, il est plein d'orange et de toute cette sorte de couleurs, et donc, c'est beau! Ils me font marrer ces flamands quand ils s'élancent; leur technique, consistant à courrir à grandes enjambées en battant des ailes laborieusement avant de parvenir à décoller, n'est pas d'une rare élégance.....cependant, leurs couleurs, alliées à leurs interminables élancements leur confère une touchante délicatesse de jeune ballerine (ou plutôt, de ballerine vierge, tentant d'échapper à la concupiscence du prof de gym que le printemps met en joie.....d'où la motivation pour s'envoler....).

Autre avantage appréciable de " Baly bay ": elle regorge de grosses crevettes, que les pêcheurs locaux nous vendent à vil prix, et dont nous nous régalons presque quotidiennement.

Samedi 26 Octobre; c'est décidé, nous partons demain. Un petit coup de spontex en plongée pour améliorer la glisse, quelques ultimes vérifications, un petit dîner entre amis avec nos pirates, et by by Mada! Une panne de dernière minute (ventilateur de cale babord grillé; en plus,il a fait fondre ses câbles d'alimentation, ce sagouin....), me force à gratter jusqu'au dernier moment.

Dimanche 27 Octobre, midi; la côte malgache n'est déjà plus qu'un mince filet sur l'horizon. Comme c'est Dimanche, nous nous autorisons un petit coup de rosé. Le vent est faible, mais suffisant tout de même pour laisser les moteurs au repos. La mer est calme, et il fait un temps superbe; voilà comment nous aimons vivre un départ vers le large pour plusieurs jours. Il est fort probable que toute la traversée ne sera pas aussi aimable, mais, profitons de l'instant présent. Le cap Saint André est franchi juste avant la nuit.

Lundi 28 Octobre, 8h; plus aucune côte en vue; l'horizon est vide, dans un univers de bleus. La chaleur est déjà lourde, et ce ne sont pas les pauvres cinq noeuds de vent qui vont apporter une peu de fraicheur....Catafjord est secoué comme un shaker sur cette mer rugueuse comme un champ de patates, avec ses vagues en pagaille dans tous les sens. Grâce à une exemplaire collaboration entre la voilure dûment établie, et Yanmar qui s'marre en douce, la moyenne reste acceptable....

Mardi 29 Octobre à midi; navigation idéale! Catafjord file ses neuf noeuds sur une mer peu agitée, agréablement chauffée et illuminée par l'astre nucléaire que pas un nuage n'a le culot de tenter d'occulter; c'est vrai que, quand on est le soleil, on doit pas trop avoir envie de se faire occulter.....surtout pas par un nuage.

Nous recevons quotidiennement des messages Iridium de nos amis, également en mer dans le canal du Mozambique, et c'est très sympa cette "présence humaine", au milieu du désert liquide qui nous enveloppe.

Un avion de surveillance français nous a survolé à basse altitude tout-à-l'heure. C'est assez impressionnant ce genre de rencontre; le hurlement sauvage des réacteurs qui déchire le délicat shuintement des sillages nous tombe dessus d'une manière incroyablement agressive.....comme un genre de fin du monde.... Les quelques mots, échangés ensuite par VHF, nous ramènent à l'humanité, durant de brefs instants. La longue houle de sud témoigne des conditions peu clémentes qui règnent un peu plus bas....vers où nous allons, justement......

Mercredi 30 Octobre; nous sommes en train de quitter le pays magique au ciel toujours bleu et aux doux zéphirs..... les nuages ont envahi le plafond, la température ne permet plus de se trimballer à poil toute la journée, et le vent a commencé à montrer une vigueur de jeune marié. Pour autant, les conditions sont encore clémentes, et Catafjord file gaillardement à plus de huit noeuds, dans un confort de vieille mariée......Je veille distraitement, levant de temps en temps le nez de mon bouquin pour un coup d'oeil circumhorizontal. Sur ma gauche, vous n'allez pas le croire: le Mont Saint Michel!!!!!!! à environ deux milles, sa masse grise posée sur l'horizon, pas tellement pointue en fin de compte; en celà, je suis bien d'accord avec le regretté Alphonse Allais. Ce n'est pas le rhum, pourtant: pas picolé depuis 3 jours; en mer, c'est discipline ascétique. J'appelle en VHF (au cas où Saint Michel veillerait sur le 16, luis aussi....), et....., ça répond. En fait, ce n'est pas le Mont Saint Michel, c'est un canote militaire, avec son élégance de fer à repasser géant, hérissé d'antennes comme un pêcheur russe, et qui me signale courtoisement qu'il est interdit de poser le pied sur "Bassas do India", possession françaies, comme son nom le laisse supposer, et qui se trouve à quelques milles d'ici, dans la direction qui est la nôtre. Et donc, nous sommes priés de passer notre chemin; ça tombe bien, c'était exactement notre intention. N'empêche, constater qu'un pauvre atoll corallien, si bas sur l'eau qu'il n'est même pas visible à deux milles, fait l'objet d'une si étroite surveillance, je dis que ça rassure sur bien des points: d'abord, ça signifie clairement qu'on ne pénètre pas si facilement sur le sol français, et ensuite, le grisbi de nos impôts....on voit bien qu'il est quand même vachement bien employé. La preuve: des pirates, par ici, on n'en a pas vu la queue d'un...... Cocorico!

Vendredi 1er Novembre; ce mince ruban vert sombre sur son liseré or, qui sépare le solide du liquide: c'est le continent Africain, qui se dévoile dans la pâleur laiteuse du jour naissant. Cinq jours que nous avons quitté Mada. Les dernières 24 heures ont été plutôt toniques, avec ce bref coup de vent d'une trentaine de noeuds qui nous a propulsé à proximité d'Inhambane, pour finalement nous abandonner lâchement à une quinzaine de milles du mouillage convoité....histoire, sans doute, de laisser encore une fois le dernier mot aux chevaux vapeurs.

Linga-Linga: l'endroit est peu fréquenté par les voileux. Et, il aura fallu toute la persévérance de Malou pour dénicher sur internet la trace d'un bateau qui est déjà passé par la, et qui nous sert de fil d'Ariane ( qu'il faut prendre garde de ne pas fourrer dans les hélices....).

Blotti au détour d'un virage, un peu en amont de la rivière, Catafjord se relâche et savoure la quiétude de cet abri où il attend sereinement le prochain coup de vent de Sud.