vendredi 13 Septembre; jolie date pour se lancer dans le franchissement du redouté cap d'Ambre. Nous appareillons au lever du jour: 5h15. Le vent souffle une quinzaine de noeuds de sud-sud-est; ça se présente plutôt bien. Sitôt hors de l'abri de la baie, une méchante houle transforme Cataf en shaker, cependant que deux noeuds de courant contraire achèvent de freiner notre progression. Je garde un moteur en service, combiné aux voiles, pour conserver une moyenne élevée. Ainsi que c'était prévisible, la brise augmente au fur et à mesure que la journée s'avance et que nous nous approchons du cap. Une baleine bondit hors de l'eau verticalement à une cinquantaine de mètres de l'étrave babord: très impressionnant! quand on la voit jaillir, comme ça, presque avec facilité, comme un genre d'envolée, on perdrait une peu la notion de sa masse, mais quand elle retombe lourdement dans une double gerbe de cinq mètres de haut, on comprend tout de suite que, si la bestiole est gonflée, c'est pas à l'hélium en tous cas.....et ça serait aussi bien qu'elle ne retombe pas dans le trampoline....bref, nous y voilà, et c'est maintenant une trentaine de noeuds de vent qui propulse le canote à douze noeuds sous voiles en ciseaux. Le paysage du cap, un brin aride, n'en possède pas moins une grande beauté, avantageusement rehaussée par un ciel d'azur, et arrosé de cette lumière joyeuse du soleil matinal. Derrière le virage à gauche, évidemment, la mer est plate; mais le vent reste très soutenu, flirtant fréquemment avec les trente-cinq noeuds, et ce pendant encore un couple d'heures; les terres septentrionales de Mada sont peu élevées, et ne freinent donc pas la vigueur de l'alizé, jusqu'à quelques dizaines de milles dans le sud. Vient alors un moment de navigation magique, Catafjord filant ses dix noeuds dans un confort d'Orient expresso (c'est quand on boit un bon café dans un train luxueux....). Le bonheur ne sachant être qu'éphémère, en ce bas monde maritime, l'alizé s'essouffle bientôt pour céder la place à un régime, non pas de banane, ça serait vraiment n'importe quoi, mais de brises thermiques, qui nous provient, à présent, exactement de la direction opposée....et c'est un joli poisson de trois kilos qui répond favorablement à notre invitation; présentement, il réside, peinard, à l'intérieur du compartiment "friseur" de la boite blanche, et c'est pas pour une mise en plis.....

Hélas, trois fois hélas, notre quotas de petits bonheurs étant momentanément épuisé, la drisse de grand'voile se met en arrêt de travail par rupture de sa gaine (est-ce très syndical comme motif, ça?...), et nous terminons l'étape du jour sous génois et moteur, jusqu'à la douillette et charmante baie Andranoaombi.....c'est pas pour dire, mais, la voile, c'est vachement sur le déclin, tout de même......en même temps, comme la moitié du temps ça ne marche carrément pas, ça fait toujours autant de milles parcourus au moteur, tranquilou et pas cher......

samedi 14 septembre; petit carénage en plongée avant de faire route vers le sud, sous artimon et génois, direction Mitsio, qui nous accueille à l'heure de la bière....

Suivant l'humeur du moment, la couleur du ciel où l'espace temps qui me sépare de ma dernière frayeur, j'ai tendance à mouiller plus ou moins long de chaine......Cette notion de "plus ou moins long" va de "juste assez prudent", à "ceinture et bretelles" (ces deux accessoires étant, je vous le dis tout net, d'une navrante inutilité pour maintenir un objet flottant accroché au fond de l'eau). Hors donc, dans cette baie de Mitsio, mon verdict se fixe sur le raisonnable chiffre de trente cinq mètres (pour huit mètres de fond), fort de ce que le vent prévu pour la nuit prochaine ne devrait pas dépasser dix noeuds.....Las, dès la tombée de la nuit, le ciel se charge de grosses balles de coton sale et vingt cinq noeuds de vent font bientôt ronfler l'éolienne et chanter les haubans.....pas de malaise, mais que n'ais-je respécté ma règle de base: "ne jamais mouiller moins de cinquante mètres, quand il y a la place, uniquement pour être tranquille". On a beau prendre des baffes, dès le rose aux joues disparu, on est prêt à recommencer les mêmes sottises.....

Dimanche 15 septembre; l'ancre a très bien tenu, et le jour apporte un nouvel éclairage sur la jolie baie, long ruban de sable clair, enchâssé entre deux zones de galets noirs, sur un arrière plan de latérite rouge, vaguement aride, mais tout de même arboré de cocotiers, palmiers, palétuviers, arbres du voyageur et aussi de plein d'autres arbres du non-voyageur dont j'ignore les noms, sans que celà ne me cause le moindre souci......plusieurs villages de quelques dizaines de cases en bois sont tapis derrière la dune de sable, abritant une population au mode de vie d'un genre "dépouillé".....des poissons, ouverts en deux, sèchent au soleil et au vent sur de simples installations faites de branches. Un gars, perché sur la gracile charpente d'une case, en refait le toit de palme, avec l'aide de sa "cliente" qui lui tend une palme neuve, chaque fois qu'il en démonte une vieille.....tout est fait avec des matériaux de la forêt, y compris les liens, tirés de l'écorce d'un arbre. Les villageois sont plutôt gentils, et polis, mais peu enjoués.....au point que je m'interroge si ça ne les gonfle pas un peu d'être pauvres.....je répare le ballon du foot du village avec une rustine de vélo, histoire de solliciter un commencement d'élan d'optimisme (peut-être que vivre avec deux euros par jour, ce n'est pas si poilant que ça, en définitive?....).

Lundi 16 Septembre; ce sont souvent de petits riens qui remplissent le coeur de joie et transforment une journée ordinaire en journée heureuse. Nous quittons Mitsio dès 7h30, car le vent est parfois faible et erratique dans ce quartier, alors, vu que "j'économise" la drisse de grand'voile en naviguant sous génois et artimon seulement, of course, ça ne va pas bien vite (comme dit Enzo, qui trouve que notre canote ne va "pas vite du tout", à son goût, et que c'est pour ça que nous mettons si longtemps à revenir......). Mais bon, le soleil brille, le ciel est bleu, la mer est calme et Mada est une île superbe, alors.....alors c'est quoi les cerises sur ce "paris-brest" en bateau? doucement amis travailleurs, doucement, j'y arrive; c'est pas une cerise, ç'en est deux! premio, mon ami Nicolas Lancelin a répondu fissa à mon appel à l'aide, deuxio, sa réponse, elle me plait bien, car il m'espique comment procéder pour me désembourber tout seul, et troisertio, qui c'est qu'arrive au mouillage de Nosy Komba en même temps que nous et qui dit en passant:"génial, vous êtes là; ce soir, apéro à bord de Rackam"? alors? c'est Bertrand évidemment, le propriétaire de Rackam (c'était facile pourtant.....j'avais mis un indice). Et c'est pas tout; je ne vous ai pas encore parlé du petit thazar affectueux qui a eû le bon goût de se jeter comme un gros goûlu sur mon leurre, passant en quelques minutes du statut de jeune prédateur redouté et plein d'avenir, à celui de filets congelés résidant momentanément dans le freezer ( et c'est pas en attente d'une indéfrisable); en plus, le leurre, c'est un que j'avais trouvé sur une plage et qui était tout bousillé, et que j'ai rafistolé avec des morceaux d'autres leurres défunts. Alors, c'est pas une belle journée ça? j'exagère pas tout de même.

Mardi 17 Septembre; les judicieux conseils de Bertrand sont les bienvenus, associés à ceux de Nicolas, pour mettre au point ma stratégie de "dégainage" de la drisse en dyneema, et là maintenant , c'est décidé, demain je me lance. En attendant, visite de Nosy Komba. Un vrai bijou! en particulier ce village, certes un peu typé "touristes", mais tellement simple et coloré et vivant. On y admire les artistes à l'oeuvre; qui peignant ses tableaux naïfs, qui sculptant, assis à même le sol sur un tapis de copeaux, et maintenant son oeuvre en cours entre ses orteils, les dents rouges et la joue enflée par la chique de cola qui lui procure son inspiration..... Marc, un jeune gars sympathique, actuellement en vacances scolaires, fait le guide à notre profit pour quelques euros; il nous emmène dans la montagne, à la rencontre d'une famille de lémuriens peu farouches. Un festival! les bestioles nous montent sur les épaules et sur la tête en quête des bananes que Marc a apporté à leur attention; moment de communion délicat avec ces peluches hirsutes au regard perpétuellement interrogateur et à la longue queue diaphane; "t'es qui toi?" semblent demander ces petite êtres vaguement humains. Un petit cramponne sa mère par les poils du bide (nettement moins humain déjà....), les bras en croix dans sa posture d'araignée. Marc dit que si le gamin lâche et tombe au sol, il est condamné, sa mère n'ira pas le récupérer......pas viable. "Bourreau d'enfant" dirait Fernand Reynaud, qui s'en battait bien la calvitie, des lémuriens....Marc fait son show, avec délicatesse....et je me retrouve bientôt avec un boa constrictor autour du cou; je fais le mec qu'a l'habitude en éspérant que le serpent, l'ai, lui, l'habitude, alors que moi, mon habitude serait plutôt de me méfier de ce genre de bestiau. Malou photographie, avant de recevoir, à son tour, le tuyau ondulant, en sautoir.....et là, elle fait moins la maline.

L'île abrite également toutes sortes de caméléons de marques différentes, ainsi que des tortues terrestres, que Marc s'amuse à nous coller systématiquement dans les pattes pour la photo touristique classique.

Je récupère une hache ébréchée, et un rabot cassé.....pour réparations.....à dessein de restituer le tout, demain, dûment remis en état par "domi gratos repairs and co".

Chemin faisant, le soleil a sournoisement descendu, ainsi qu'il se plait à le faire d'une manière quasi-quotidienne, et il est, à présent, grand temps de regagner le bord afin de nous préparer à honorer l'invitation de Catherine à partager un carry de mouton à bord de Rackam. J'ai tout juste le temps de mijoter une mixture apéritive à offrir, et déjà, une passionnnate discussion sur les mérites comparés de la navigation à voile et de la navigation à moteurs se profile à l'horizon, lequel, je vous le dis tout net, est beaucoup moins éloigné pour les adeptes de la mécanique.

Mercredi 18 Septembre; journée laborieuse, mais, question drisses dyneema, journée fructueuse: la balancine et la drisse de grand'voile ont toutes deux subies leurs lifting avec succès, et ressemblent maintenant à ces manoeuvres sophistiquées qu'arborent souvent les bateaux qui se veulent performants. Les outils pris en charge hier ont également été remis en état, mais le temps manque pour les restituer ce soir à leurs propriétaires respectifs, et nous ne le ferons donc que demain.