Jeudi 22 Août; les essais de lattage de cockpit en polyester que je mène en ce moment s'avèrent plutôt concluants. Du coup, nous filons chez l'approvisionneur local, la société PSI, afin d'y acquérir les matériaux nécessaires à l'avancement de ce projet.

La doudou revêche de l'autre jour, s'avère beaucoup plus avenante cette fois-ci; est-ce la présence de Malou, ou alors elle s'est habituée à mon humour......, toujours est-il qu'elle est devenue bien aimable et même carrément volubile......comme quoi, il n'y a pas de règle.....( ou alors.....ça serait ça l'explication......mais, ne nous égarons pas); je révise totalement le jugement que je portais sur elle en début de semaine.

Hier soir, nos amis canadiens de "Green ghost" ont organisé une petite "party" informelle, sur le quai; d'un genre que nous autres, latins, ne pratiquons pas couramment, mais qui possède pourtant une certaine efficacité. Le principe est de réunir dans un endroit "neutre" (le quai, par exemple), une brochette de relations amicales, qui apportent chacun un peu à boire et un peu à manger; on pose tout ça sur une table improvisée (en l'occurence, une palette en bois), et voilà le théâtre de notre apéro-dinatoire. Le principe fonctionne correctement, sans offrir toutefois la petite touche de délire supplémentaire qui affecte souvent ce genre de réunion lorsqu'elle se déroule à bord de Catafjord.

Vendredi 23 Août; encore une bonne journée, un tantinet laborieuse, qui s'étire; la troisième tournée de moulage vient de recevoir sa coupe-en-gel, et les outils sont nettoyés. Malou est partie acheter un peu de catalyseur, pendant que je range les bandes de mat coupées au format des lattes.

Une bagnole s'immobilise sur le quai, de laquelle jaillissent deux personnes qui s'avancent en m'interpellant; bonne surprise, c'est Sylvain, le dentiste qui s'est penché récemment sur mon problème de chicot de façade. Il vient aux renseignements, accompagné de sa pétillante compagne Julie: " comment qu'on fait pour devenir tourdumondisse en bateau?". Voilà un couple de jeune qui portent à l'optimisme, avec leur joie de vivre, leur curiosité, leur ouverture d'esprit, leur simplicité charmante. L'avenir nous permettra peut-être de les retrouver, car ils envisagent de massacrer quelques dentitions du coté des Caraïbes, dans un futur proche......alors, au revoir les djeun's.

Samedi 24 août; fin provisoire du chantier de résine. Le stock de lattes de presque deux mètres carrés est rangé, avec les moules, dans la cabine babord, inoccupée. Les outils sont propres et rangés. Un bon coup d'aspi pour éliminer les fibres de verre qui ont envahi les planchers comme un chiendent synthétique, et l'atelier de moulage disparait jusqu'à la prochaine escale propice. J'ai mis l'annexe à l'eau pour gratter les coques à l'aide de ma spatule à long manche; c'est beaucoup moins bien qu'en plongée, avec le narguilé, mais la présence occasionnelle de requins dans le port, et la fraicheur de l'eau m'invite à me contenter de cette rustique toilette; et, puis, il n'y a que quatre cent milles d'ici à Sainte Marie, notre prochain hâvre.

Dimanche 25 août; ce matin, Malou est passée à deux doigts d'inventer le "drive-in" en vélo:

La Réunion est certes une île superbe, mais elle est, hélas, inféstée de voleurs. Pour vous dire, n'y perdez pas de vue votre belle-mère, on vous la piquerait à coup sûr (mais peut-être certains indélicats rèvent-ils de voir piquer leur belle-mère.....).

Hors donc, en ce jour de veille de départ, la Miloude se rend chez Leader Price afin d'y acquérir quelques denrées, sans aucun doute indispensables à la suite de notre périple. Afin de ne pas exposer son vélo en alu à la cupidité des chapardeurs, elle s'est vue invitée par le gardien à introduire son biclou à l'intérieur même du magasin, soit, à proximité immédiate de la caisse; ce qui lui a permis de charrier ses appros, direct du caddy aux paniers du vélo. De là à imaginer la phase suivante, où elle serait autorisée à faire ses emplettes en bécane dans le magasin, et, à passer ensuite à la caisse, carte bancaire à la main, le popotin fermement soudé à la selle, il n'y a qu'un tour de pédale, que je n'hésite pas à donner ici même, afin, peut-être d'apporter ma petite contribution à l'amélioration de l'efficacité et du confort, de la ménagère aux commissions. Ne me remerciez pas, c'est tout naturel, quand on a une idée géniale, d'en faire profiter ses contemporaines.

Mercredi 28 août, en mer; belle traversée depuis La Réunion....peut-être un peu trop speed au début, avec une bonne trentaine de noeuds de vent durant les premières 24 heures, et la mer qui va avec, bien sûr, alors même que nous sommes totalement désamarinés par un mois et demi scotchés à quai. La deuxième moitié du trajet est plus paisible, tout en restant tout de même tonique.

Et voici que l'île Sainte-Marie est maintenant toute proche, apportant avec elle la promesse de nouvelles rencontres. Après la franchouillardise tropicale de LR, nul doute que Mada nous apportera son lot de dépaysement.

Justement, ça démarre fort; le chenal qui sépare Sainte-Marie de la grande terre est un hâvre d'accueil pour les baleines, qui y viennent se reproduire, mettre bas, ou sevrer leur progéniture de l'année dernière......un genre d'immense bordel pour mammifères marins, quoi! La gestation dure onze mois et demi; et donc, chez miss Cétacé, une année on baise, une année on pond ; personnellement je trouve que ce n'est pas du tout assez.....mais bon, ceci ne nous regarde pas. Ces grosses bestioles, présentes par centaines en ce moment, nous offrent, dès notre arrivée, un festival de bienvenue, jaillissant de la mer jusqu'à mi-corps pour retomber lourdement en projetant deux magistrales gerbes d'écume de dix tonnes chacune!, qui les signalent de loin. Parfois, un rejeton imite maman baleine; plus agile, il surgit en chandelle, à la verticale, et se maintient ainsi quelques brefs instants, en une sorte de "wheeling", style caniche à l'assaut du susucre....Soudain, l'une d'elle, pas génée par notre présence, croise Catafjord à contrebord, à moins de dix mètres, émergeant sa nageoire dorsale et sa queue juste le temps d'imprégner durablement nos mémoires. Parvenant au mouillage, derrière l'îlot Madame, une autre, qui s'y prélassait, déménage lentement, semblant nous indiquer l'endroit où poser la pelle....

L'après-midi est consacrée aux formalités d'entrée, comme il se doit.

Un grand moment! Un batiment désuet et sobre, à la façade garnie d'une pancarte:"recette des douanes"; les volets en bois sont grossièrement réparés avec des planches clouées; la porte est ouverte. Nous entrons, dans la pièce sombre et dépouillée, seulement garnie de deux bureaux de bois sur lesquels trônent deux machines à écrire d'un modèle ancestral, aux cotés de quelques dossiers papiers, empéchés de s'envoler par les tampons et encreurs posés dessus. Pas l'ombre d'une présence humaine.....cependant, de la pièce d'à coté, nous parviennent les hordes de décibels produits par un téléviseur bas de gamme diffusant à volume maximum les crétineries d'une lénifiante série à deux balles. Pour nos instincts de limiers, ce détail a valeur d'indice. Nous appellons:"y a quelqu'un?". Bingo! un gars se pointe, torse nu, son ticheurte à la main, chaussé de tongs du même millésime que la machine d'écriture, et illumine la pièce de son sourire aussi jovial que non-incisif!......pourquoi "non-incisif"? parce que le gus n'arbore pas un seul chicot en façade (mais on aperçoit des canines sur les cotés.....ouf!). Optimiste, je me dis qu'un douanier comme ça, ça ne doit pas trop mordre.....si tant est que ce gars, au look si peu martial, soit réellement un douanier.....rien ne l'indique, pour le moment. Mais voici que, sitôt chaussé le ticheurte, notre homme s'installe derrière un des bureaux et réclame "le papier". Cette fois, c'est sûr, c'est lui le préposé (sauf que là, il est plutôt "postposé".....mais bref). Je lui tends la clearance de sortie de La Réunion, qu'il retourne illico sur son bureau. Puis, saisissant d'un geste professionnel et décidé, un des tampons, il se met en devoir de l'apposer sur le verso vierge du document...hélas, le succès de la manip est assez mitigé, car, l'encreur, est aussi du même millésime que le reste, et donc, il encre sensiblement moins qu'au siècle précédent. Notre bipède est un opiniâtre; et il va chercher quelques particules d'encre élémentaires dans des endroits ousque le tampon n'a pas dû y aller trop souvent (pense-t-il), genre dans les coins, travaillant son instrument avec application dans un mouvement de balancier appuyé, propre à extraire encore peut-être un millième de milligramme d'encre, laquelle lui permettrait d'apposer enfin sur notre document la marque indispensable au passage à l'étape suivante: "ça nous fait 80000 ariarys!" ( ici, avec un euro, on obtient pas loin de trois mille ariarys). Sachant que le salaire moyen, ici, est de deux à trois euros par jour, ça fait une somme!

Malencontreusement, dans son zèle fébrile au service du client, pépère gabelou s'est gourré de tampon, et donc, se voit contraint, sur le métier, de "remettre son ouvrage".

Après avoir copieusement maculé notre document de ses errements tamponatoires, notre brave préposé se décide, avec une timidité de jeune premier, à réclamer la fameuse taxe, nous justifiant l'existence d'icelle par cette délicieuse formule:"c'est ça qu'on a demandé aux autres" (les "autres" désignant les trois bateaux présents dans le mouillage depuis quelques jours). Ceci étant, qu'elle soit légitime ou pas, nous aurions mauvaise grâce de tenter de nous soustraire à ce "don", car, les affaires du pays étant ce qu'elles sont, les fonctionnaires ne perçoivent plus leur salaire régulièrement depuis belle lurette.....et, il faut bien vivre.....Cependant, sachant qu'il est très néfaste de payer n'importe quoi sans sourciller, car ça encourage les pratiques illégales et la corruption, il est de notre devoir de nous rebiffer (un peu) avant d'allonger l'oseille. Nous réclamons donc, un reçu. Aucun problème, le gars nous en rédige un immédiatement sur papier libre avec sa signature et le tampon du poste de douane......pour ces messieurs/dames, ce sera tout?

L'étape suivante, la visite au bureau de la police pour obtention des visas, est du même tonneau; toujours la machine à écrire moyennâgeuse, le bureau en bois avec personne derrière, sauf qu'ici, la téloche n'est pas dans la pièce contigüe, elle est dans le bâtiment d'à coté, et donc on ne l'entend pas. Coté tampon encreur, on est dans le même registre; tellement sec, que le gars en a deux à sa disposition......et, donc, au lieu de traquer le milliardième de goutte dans les angles, le fonctionnaire passe convulsivement de l'un à l'autre, comme si la gougoutte allait se barrer furtivement d'un encreur pendant que le tampon est sur l'autre, et que le gars cherche à la capturer par surprise avant qu'elle ne sorte du bocal.....

Le visa pour trente jours est gratuit; cependant, il faut donner 500 ariarys pour financer les photocopies.......et notre homme nous signale qu'un petit cadeau ne saurait être refusé.....faudrait pas être vexant.....

En cours d'entrevue, son collègue apparait (la fin de l'épisode du feuilleton, peut-être....), expliquant que le grand chef désire visiter le bateau et que c'est à nous de payer son transport en taxi! devant notre ferme refus, le type lâche l'affaire sans autre forme de procès et nous nous quittons fort courtoisement, après un petit cadeau de 500bourriers (soit grosso modo quinze centimes d'euros).

Ainsi, nous voici, en règle, et prêts à partir à la découverte de cette île qui semble bien agréable.