Samedi 10 Août; je ne sais pour quelle obscure raison, il semble devenu indispensable, voire urgent, de baigner Céline....C'est Grande Anse qui a été élue "site de trempette" du jour. Comme il fallait s'y attendre, quelques centaines de clampins ont également été pénétrés de cette géniale idée, d'où les embarras circulatoires.....mais celà n'est rien. L'après-midi ayant eu largement le temps de s'étirer depuis le traditionnel pic-nic bord de route du midi, si cher aux Réunionnais, Grande Anse se trouve agrémentée de la belle lumière lorsque nous y parvenons enfin. L'endroit est superbe et possède tous les attraits attendus: les rouleaux d'écume, les palmiers qui agitent leurs branches sous la caresse de l'alizé, l'herbe rase et bien verte qui accueille les derrières en ouikène, et même une zone de baignade à l'abri du fracas des vagues.

Un kiosque en toile abrite une table à apéritif, garnie de verres et de boustifaille, autour d'un container de punch planteur. Au devant, quelques musiciens en costumes colorés, tentent de mettre un peu d'ambiance en soufflant dans leurs instruments de cuivre. Je me pose là pour profiter du spectacle pendant que les copines vont s'ébattre dans l'eau salée. Alentour, une multitude de petits groupes familiaux s'adonnent chacun à son occupation favorite sans s'occuper des autres; les pétanqueurs pétanquent, les badmingtonneurs chassent le volant à grand coups de tapettes à mouches, les buveurs de bière caressent leurs "dodo", et les amateurs de bronzette commencent à ramasser leurs abattis car la fraicheur arrive déjà. Une maman entraine gauchement son rejeton à taper dans un ballon.....les musicos s'essouflent et n'émettent plus que quelques sons sporadiques......chacun son tour, comme quand on se chauffe avant le concert.....un morveu à la trogne maculée de chocolat se pointe dans mon espace pour faire connaissance......le son des klaxons hurlant en coeur s'amplifie, annoncant l'arrivée imminente d'une mariée, à qui est destinée tout le bazar musico-planteur. Elle apparait; le "little big band" se remotive immédiatement et attaque une romance rythmée qui parvient difficilement à faire trémousser trois ou quatre popotins juvéniles, devant l'objectif d'une énorme caméra, que Kassowitz il n'en avait même pas une pareille! Le groupe autour des mariés s'est un peu densifié, mais toujours pas le plus petit début d'ambiance festive......étrange. Quel contraste par rapport à nos fêtes de famille enthousiastes. Mais, après tout, pourquoi ne pas se "marier triste?".....on pourra, ensuite, quelques années plus tard, divorcer dans l'allégresse....(humour).

Malou revient de la baignade avec une épine d'oursin dans le pied; heureusement, mon Victorinox en viendra à bout rapidement, et sans dommage aucun, ni pour le couteau, ni pour la pépète.

Dimanche 11 Août; le "chemin des anglais", bien mal nommé puisqu'il a été construit par des français, se nomme à présent chemin Crémont, du nom d'un gaillard qui aurait contribué activement à sa mise en oeuvre. Long ruban de galets volcaniques promus à la fonction de pavés, c'est une des toutes premières voie de circulation ayant donné accès à la capitale. Elle fait, à présent, le bonheur de nombreux randonneurs avertis.....N'étant nous-mêmes que des baladeurs pédestres pas tellement avertis, nous commençons par nous poser sur de grosses pierres calées au fond de la ravine Magloire, afin d'y siroter notre délicieux planteur du Dimanche midi, tout en commentant le défilé des vrais marcheurs qui se lancent gaillardement à l'assaut de la première montée ardue. Ils nous impressionnent un peu avec leurs beaux costumes de randonneurs "qu'est chua": godasses à crampons, chaussettes jusque sous le genou, shorts moulburn pour les hommes et moultouff pour les dames, tee-shirts fluos roses et verts, gourdes à narguilé portées en soutien-gourdes, et casquettes conquérantes, de la même couleur que les chaussettes......ouahhhhhh, le look! On se sent tout petits, nous,......et encore plus quand on les voit gravir en petites foulées les raidillons que nous franchissons.... en silence et en soupirs......il n'empêche, nous finissons tout de même par avaler les douze kilomètres du calvaire,......en souriant jaune,..... au bout de quatre heures et demi. Et ça fait bien plaisir, au final.

Lundi 12 août; les copines sont ambitieuses aujourd'hui: double objectif!

déjeuner créole chez Eva, et visite vanilleraie ensuite!

La table d'Eva Annibal, à Bras-Panon possède, elle aussi, une double originalité: deux longues tables accueillent les convives les uns à coté des autres et le rhum magistralement arrangé est à volonté......les tables en sont garnies de dizaines de bouteilles que chacun ponctionne à sa convenance! En compagnie de mes copines, peu de dérive probable; mais je m'imagine atterir ici en compagnie de mon Maxsou d'un coté, et de mon neveu Alain de l'autre......!!!!!!! la catastrophe serait au coin du goulot, pour sûr. Grâce au ciel, nous quittons les lieux vers 14h avec guère plus de quatre grammes.....pas de quoi avaler son permis de conduire.

Petite recette de rhum arrangé fournie par un voisin de table: canelle, vanille, feuilles de faham, écorce de benjoin, sucre, fruits; laisser macérer six mois (c'est ça le plus difficile....)

Puis, nous zigzaguons gentiment vers la vanilleraie prévue, ousque nous arrivons.... avec trois quart d'heures d'avance......largement suffisant pour digérer paisiblement, en attendant de connaitre tous les secrets de l'orchidée odoriférante. Celle-ci pousse sous ombrière chez les Rouloff. Toute les étapes, depuis sa pollinisation, jusqu'au conditionnement ultime, nous sont décrites avec force détails; passionnant! Où il est question de pollinisation manuelle car aucun insecte local ne s'en occupe personnellement......et, donc, c'est le taulier et sa femme et son fils qui doivent retrousser à la main le pistil de chaque fleur afin que le contact se fasse entre ses deux organes reproducteurs, générant ainsi l'érection d'une gousse......c'est pas un métier torride, ça? Ca devrait s'appeller "branleur d'orchidé", mais, ici, c'est "marieur" ou "marieuse".....qu'on dit.

La vanilleraie Rouloff est la seule de La Réunion qui vend toute sa production directement, sur place, sans intermédiaire. Bravo.

Mardi 13 Août; Cap méchant, soit une énorme coulée de lave qui ne date pas d'hier. Déchiquetées sous les assauts des vagues, les grandes murailles noires s'enfoncent dans la mer, en devenant roses à leurs bases, par dépigmentation et hébergement de micro-organismes marins. Le chemin côtier cahote sous les filaos, et surtout les pandanus, ici nommés "vacoas". Un tapis d'herbes "pique-fesses", endémiques, a colonisé la roche poreuse pour offrir à nos pieds une épaisse moquette verte qui confère un grand confort à notre promenade. L'alizé souffle vigoureusement et fait gerber la mer en explosions d'écumes. Deux paille-en-queue apparaissent dans le ciel à l'instant précis où Anne-Yvonne et Céline les réclament pour leurs photos. Tous ces spectacles naturels permanents enchantent nos deux vacancières qui en gloussent de satisfaction, alors que.....bon...

Poussant la balade jusqu'à la cale des pêcheurs, au lieu-dit "Langevin", nous avons la chance d'assister au retour de pêche d'une barque locale; quel rodéo! L'étroite cale, enchassée entre deux murailles rocheuses, accueille le flux et le reflux de chaque vague arrivant du large. La barque stoppe son erre à une vingtaine de mètres, ballotée comme un moucheron tombé dans ma bassine de punch au moment où je touille (c'est une image); un des hommes d'équipage s'affaire à déposer le moteur hors-bord et le range dans le fond de l'esquif pour lui éviter un mauvais coup. Un autre costaud se met aux avirons et approche la barque des rochers, cependant qu'un bout' est frappé à l'arrière et envoyé à un compère qui attend, perché contre la muraille, à proximité de l'entrée du goulet. Les hommes d'équipage débarquent alors prestement, de l'eau jusqu'à la taille lors d'une montée d'eau dûe au ressac. Le dernier débarquant reste perché sur le caillou afin de tenir son canote éloigné du danger et donner, au moment opportun, l'ordre de hâler dessus; la barque monte alors d'une dizaine de mètres dans l'étroit boyau de pierre, aidée par le flux, puis s'échoue en douceur, fermement maintenue par quelques paires de bras vigoureux. On recommence la manoeuvre à la faveur d'une prochaine grosse vague, gagnant encore quelques mètres, puis c'est le treuil éléctrique, fermement scéllé dans sa cabane en haut de la cale, qui prend le relais. L'ensemble de l'opération ne prend que quelques minutes, dont certaines sont bien intenses.......et, gare aux maladroits. Quand la mer est trop forte, les canotes restent sur le terre-plein, et sont l'objet des nécessaires travaux d'entretien.

Dimanche 18 Août;

nos invitées ont rejoint leur contrées bretonnantes. Sept ans, déjà, que nous avons quitté leur monde conventionnel.....Quelques heures après leur départ, nous revoilà installés dans notre mode de vie habituel, tellement différent.

J'ai repris mes travaux sur le substitut de lattage bois pour le cockpit, ainsi que ma mission d'accompagnateur de Malou dans ses oeuvres d'approvisionnement en vivres avant de partir pour "Mada". Nous avons restitué la bagnole de loc, une Xsara, pi, cassos,...... car question conso de carburant, bonjour le gouffre!

Jean et Sonia nous ont convié à une petite sortie en mer, à bord de leur canote à moteur, histoire de nous joindre au troupeau de curieux qui agacent quotidiennement les placides cétacés (qui pensent sans doute que c'en est trop!), avant d'aller ensuite grossir les rangs des "trop-nourris" qui font prospérer les auberges du port de Saint-Gilles. Un groupe de leurs amis sont de la fête, aussi; la journée se passe, agréable et indolente, jusqu'à la naturelle conclusion apéritive du soir, où, là, c'est nous qui invitons. Nos convives sont un couple de canadiens sympas, Jennifer et Nick, qui viennent de Vancouver à bord de leur monocoque vert, "Green Ghost", et sont nos voisins du moment. C'est une bonne occasion de nous remettre un peu à l'anglais, que nous avons bien négligé ces derniers temps..... Nous devrions nous revoir, car leur trajet ressemble bien au nôtre....

Lundi 19 Août; ce matin, je me rends, en vélo, chez PSI, modeste boutique, sise dans la zone industrielle qui jouxte la marina, à dessein d'y acquérir un ébulleur et une boite de cire de démoulage. En l'absence du patron, c'est son employée réunionnaise qui a la charge de s'occuper des clients. A mon humble avis, elle s'en acquitte fort médiocrement. Non contente d'avoir l'amabilité et la chaleur humaine d'une porte de prison ( même pas en composites ), la saucisse peine à répondre aux deux ou trois questions basiques que je lui pose, me pressant lourdement vers la sortie à coups de "ce sera tout?", et autres "vous cherchez autre chose?", peu engageants. Pour se désennuyer un peu de la présence de clients, qui viennent lui péter sa quiétude dès le lundi matin, cette employée modèle entame alors, avec une de ses copines, une interminable communication téléphonique, entièrement sponsorisée par la boite, sur le thème majeur: "la rentrée scolaire des ch'tites n'enfants"......"et pia, pia, pia, le p'tit a pleuré......et pia pia pia, c'est t'y pas malheureux......et pia pia pia, pôv gamin.....et pia pia pia....", tout en encaissant mon bifton; "au revoir", et "merci", ne font pas partie de son baratin. Heureux pays où les subventions françaises pleuvent si dru que l'on peut aisémment se permettre de négliger le peu de clients qui franchissent le seuil de la boutique, et où l'on s'apesanti longuement sur la dure vie des mômes qui vont en classe.....cependant qu'à une poignée de kilomètres d'ici, d'autres enfants ne disposent même pas d'un crayon pour apprendre à écrire et ne bouffent pas à leur faim.....