mardi 20 Novembre: enfin en vacances! c'est vrai, depuis deux semaines que Catafjord a envasé son ancre dans les eaux glauques d'Eagle bay, tous les jours, on ne se baigne pas, et on travaille. Ca commence de suffire. Aussi, à la faveur du bon calme plat quotidien, nous nous déhalons au moteur, plein ouest, direction Telaga. Il est onze heures; nous venons de passer entre deux petites îles verdoyantes, et il s'en présente une troisième:"Tépor", qui nous fait l'effet de mériter une courte halte....je ne saurais dire pourquoi, car elle est en tous points identique aux autres, avec sa plage de sable blanc où quelques singes viennent boulotter les crabes, cependant que les aigles de mer dansent là-haut leur ronde meurtrière. Une précaire cabane de farniente s'y décrépit inexorablement au milieu des immondices, souvenirs d'une probable soirée barbeuc terminée "en stribil", comme on dit dans l'ouest (mais pas de la Malaisie....). Je ne saurais évoquer cet ouest-là sans signaler au passage, qu'ici non plus la saison des pluies n'est pas terminée......et donc, nous prenons de temps en temps, disons un jour sur deux, de diluviennes saucées, avec, en sus....en cas de laxisme dans l'obturation systématique de tous capots et hublots, une vilaine corvée d'assèchement.....exécutée, comme il se doit, dans la joie et la bonne humeur.

Sitôt l'ancre immérgée, nous nous jettons tous les deux à l'eau pour nettoyer un peu les oeuvres vives qui n'ont pas reçue cette attention depuis un certain temps.....ce n'est pas du lusque.....l'eau d'Eagle bay reçoit toutes les déjections de la ville de Kuah, favorisant diaboliquement la prolifération des berniques qui poussent donc à la vitesse d'un AC70 juste avant le "capsize"....; pas trop sur les coques grâce à l'antifouling Jotun posé à Brisbane il y a un an et qui reste efficace, mais surtout sur les hélices et les lignes d'arbres où là, c'est une horreur.

Cette côte ouest de Langkawi est un paradis du tourisme; Tengah beach et Cunang beach regorgent de lieux de villégiature, et proposent donc, à ce titre, aux argentés neuneus de toutes nationalités, la palette complète d'activités nautiques énergivores et bruyantes; ah, le bourdonnement incessant des jette-skis, capable de vous transformer n'importe quel mouillage idyllique en chaudron du diable....dans le même registre, défilent un peu plus loin quelques niaiseux en quète de frissons à deux balles, suspendus sous leur parachute tracté comme des andouilles en train de fumer dans une cheminée bretonne.....

Mercredi 21 Novembre; la nuit dépose sur nos tronches son chapeau anthracite. Sur la montagne d'en face, le téléphérique vient de figer ses cellules comme autant de mouches scotchées dans une toile d'araignée. Au couchant, le soleil a quitté son job, laissant derrière lui un rougeoiment pourpre comme l'enseigne d'un bordel de Bangkok, et qui offre un peu de gaité au ciel de plomb. Derrière la montagne, les éclairs embrasent les nues, sans toutefois nous susciter l'habituelle inquiétude, car l'orage est loin. En cette saison, c'est presque toujours orageux quelquepart. Nous avons déménagé Cataf en milieu de journée, pour l'installer dans la très agréable baie de Telaga, au sud-ouest de Langkawi. Protégée par deux îlots artificiels destinés à limiter les effets indésirables d'un éventuel tsunami, ce mouillage possède toutes les qualités appréciées du voyageur nautique: la montagne verdoyante, la plage de sable blanc, les eaux calmes et relativement propres, quelques voisins de mouillage (mais pas trop), et une marina située à un jet de chique avec toutes ses facilités.

Samedi 24 Novembre; pas tellement favorisés par la météo ces derniers jours; que de pluie! déjà, hier, nos bonnes résolutions touristiques se sont évanouies, bouffées par une nébulosité excessive; il faut dire que, monter dans le téléphérique pour se retrouver dans un trou du cumulus, cotonneux et humide, avec cinq mètres de visibilité, ce n'est pas très attractif.....autant rentrer chez soi vite-fait et attaquer tout de suite l'apéro; on sera moins déçu....donc, le "cable-car", ce sera pour plus tard.

Nous attaquons ce samedi matin plein d'entrain, avec notre désormais quotidienne expédition "dizeule"....on trouve ici le gas-oil a deux prix différents: pour les locaux, à la station, c'est quarante-cinq centimes d'euros, et pour les "yachties", au ponton, c'est soixante dix centimes d'euros. Aussi, en bon père de famille gérant avec finesse sa modeste rente, le capitaine d'un canote mouillé juste en face se colletine-t-il son appro de carburant par le truchement de ces bidons en plastique que l'on dit "jerrycans", afin d'économiser quelques centimes.....ainsi, hop, hop, hop, vingt-cinq centimes de gagnés à chaque litre, ça fait cinq euros par bidon, et là, jé ricane plus.....ça paye la bière! Sauf que l'administration malaise, n'entendant pas laisser le vulgum touristus, forcémment riche, alimenter ses mécaniques à combustion interne au même tarif que l'indigène, a décrété que les appros touristiques par bidons plastiques devaient se limiter à vingt litres par tête! en conséquence de quoi, nous rendons visite quotidiennement à la charmante musulmane emmitouflée qui tient la caisse de la station "Pétronas", afin d'y venir quérir notre ration légitime de "dizeule"; Malou passe la première, puis, une minute plus tard, je refais le coup avec un deuxième bidon, ce qui nous permet de rentrer à bord le coeur gonflé d'allegresse et de fierté car nous venons de sauver dix euros! Ce matin, une sympathique surprise nous attend dans la baie: "too much", un Amel battant pavillon français est là; nous allons retrouver les amis Jean et Marcia dont nous avons fait la connaissance il y a quelques mois. Il pleut des cordes; pas question de se balader; reste donc à tchatcher toute l'après-midi en leur compagnie....

Dimanche 25; mission téléphérique! le soleil brille; pas question de se louper cette fois. Arrivant à la station une grosse poignée de minutes après l'ouverture, la queue mesure déjà plus de trois-quart d'heure, pour accéder aux cellules de six places qui défilent devant l'aire d'embarquement. Mais la chance est avec nous; et nous montons après seulement un quart d'heure dans une cellule occupée par une famille de quatre personnes. Rapidement, notre bulle de verre et de métal flotte comme en apesanteur, sans aucun bruit, au dessus de la forêt primaire, puis rase une impressionnate falaise avant de nous déposer au sommet de la montagne, ayant avalé un dénivellé de sept cent mètres en quelques minutes! le plus important du monde ont-ils écrit sur la pancarte d'accueil..... Of course, le panorama est magnifique; mais il ne faut pas trainer à ouvrir vite ses mirettes car dèjà le ciel se voile, laissant une nébulosité bien de saison envelopper tout le beau tableau dans son sarong de coton moite.....allez, un petit café, et on redescend. En bas, la zone avoisinnant la station de "cable-car" s'appelle "oriental village"; cette grappe de boutiques à touristes organisée autour de son plan d'eau avec pédalos pour mômes et carpes en dessous n'est pas désagréable, à défaut de présenter quelque interêt....disons que c'est un genre de mini-disneyland du shopping touristique.

Le ciel ayant eu le bon goût de se remettre au bleu, nous embrayons, tout de suite après le déjeuner, sur notre deuxième rando de la journée: les cascades de "seven wells" (sept puits). Les six cents premières marches en béton qui donnent accès à ce très joli torrent sont gravies allégrement, à l'ombre de la canopée, comme une brave marche digestive dominicale sans prétention. L'eau court sur les gros galets, avant de chuter, ..... et c'est beau! Les musulmanes empaquetées des pieds à la tête se trempent les tissus juste à coté d'australiennes en bikini.....c'est beau aussi, et, en plus, c'est drôle! Une jolie pancarte intitulée "you are here" indique clairement qu'aussi bien, celui qui le sent comme ça, peut encore continuer la balade plus loin, et surtout, plus haut. Avec la Miloude, on décide de ne pas se dégonfler; et nous voilà cheminant sur un sentier de racines entrelacées, revétues d'une épaisse moquette en feuilles d'arbres pourries.....c'est spongieux, ça fait "pchoutt" quand on marche, ça sent le moisi; c'est super! et ça monte, ça monte, ça monte.....on n'en voit plus la fin! jusqu'à ce que, soudainement apparaisse, solidement amarrée à un arbre, le bout justement de la corde qui permet de sécuriser un peu les derniers cent mètres de grimpette à trente pour cent (une affaire!). Le terme de l'éxpédition nous réserve deux surprises: une bonne et une mauvaise; je commence par la bonne (comme disait le chatelain....): nous sommes à mille sept cent soixante cinq mètres au dessus du niveau de ma bouteille de pastis! belle ascension tout de même.....l'autre, la mauvaise, c'est qu'il n'y a absolument rien à voir ici, en dehors de cette funeste pancarte. Donc, demi-tour sur place et, retour dans la foulée....bon, c'est tout de même plus facile dans ce sens là.

A l'arrivée, encore une bonne surprise: nos amis Nathalie et Hans Peter de "Natapé", rencontrés aux Fidjis l'année dernière, ont mouillé leur canote juste à coté de Catafjord....alors, bien sûr, on boit un coup ensemble en parlant un peu batô car c'est un très bon sujet. Et demain, "check out", puis by-by Malaisie.....