jeudi 4 octobre; comme d'habitude lors de ces escales mi-longues (deux semaines), les jours défilent à vitesse gravée, et le moment du départ s'approche de trop près, alors qu'on a encore rien vu. Il faut dire aussi que le climat est peu propice aux activités frénétiques; l'air est saturé d'humidité, et la température souvent étouffante. Pourtant, profitant des avantages liés à la proximité d'une grande ville moderne, nous avons encore rayé quelques lignes de la grande liste auto-régénérée "travaux à faire", ainsi que refait les niveaux de gaz, gas-oil ( par bidons de vingt litres portés à la main......), bière et courroie d'alternateurs.

Johor Bahru n'est pas une ville de rêve. La route qui passe devant la marina est une deux fois trois voies plus les contre-allées.....peu propice aux promenades romantiques. Par contre, Danga bay, prétendument vouée à devenir un "élégant centre commercial et financier" ( y a encore un peu de boulot.....), offre déjà sur son front de mer quelques centaines de mètres d'avenants trottoirs où profiter de la relative fraicheur du soir. C'est plein de restaurants, de manèges pour enfants, de gens qui se baladent, d'amoureux qui se promettent des trucs.....de musiques différentes qui se mélangent cacophoniquement, et de grues de chantier qui urbanisent en arrière-plan. Ces derniers jours, les éclairs et grondements de tonnerre n'ont pas apporté de pluie. Peut-être le changement de saison est-il en cours prématurément. La région est soumise à deux régimes de vents distincts: la mousson de sud-ouest, pluvieuse, qui dure jusqu'en Novembre, puis la mousson de nord, avec un temps plus sec, et surtout, la fin des orages et autres sumatras; que c'est pas pour critiquer, mais ça me branche moyen ces trucs-là....

vendredi 5 Octobre; réveil à 6 heures, afin de goûter, nous aussi, au marathon quotidien de quelques cinquante mille personnes! Matin et soir, ces travailleurs émigrés franchissent la frontière qui sépare Singapour de la Malaisie, au prix de deux à trois heures de transport en commun et contrôles divers à chaque passage, affûtant leur patience dans les inévitables queues. Alors, pour optimiser un peu son emploi du temps, on dort dans le bus et on fait ses e-mails sur le téléphone ou la tablette pendant qu'on "queue" (du verbe anglais: to queue).

Il est un peu plus de neuf heures, et nous descendons notre chope de café au coffee shop chinois tout proche du terminal des bus; pas du tout cosy comme coin: tables formica/chaises plastique dans un couloir carrelé entre deux immeubles.

Faisant fi des conseils reçus auparavant, nous décidons de nous déplacer à pieds. "Little India" pour commencer, avec ce premier temple coloré et décoré à outrance, et, en pleine activité. Tout est en place pour la prière et les offrandes. Les marchands du temple ne chôment pas: encens, boustifaille, et même prières que l'on achète sous forme de ticket, remis au prieur patenté, seul autorisé à s'adresser en direct aux autorités celestes. Les dévots prient, les touristes photographient. Une dame nous offre une nourriture orange gélatineuse directement dans le creux de la main droite; c'est pas mauvais; très sucré et ça pègue un peu....je lèche pour essuyer.....c'est pas défendu; même pas malpoli. Enchantés de cette visite, nous filons direct vers la "sixtine"bouddhiste, quelques hectomètres plus loin, où trône un Bouddha de quinke mètres de haut et trois cent tonnes; magnifique le pépère! Dans une alcôve, derrière, un autre admirable Bouddha, dormant celui-là, au regard bienveillant, allongé sur le flanc, semble inviter les visiteurs à la méditation. Une multitude de statues représentant des scènes de vies raconte la genèse de cette religion qui ne manque pas de similitudes avec le christianisme.

Nous déjeunons dans un restau populaire du quartier; tables formica-chaises plastiques-éclairage néon-bouffe délicieuse et pas chère, comestible avec des baguettes, et bien bruyant......mais authentique; pas un touriste dans cette cantine. C'est comme ça que nous aimons voyager.

Traversée du quartier musulman; très joli, très propre et plutôt plus coquet que ce que nous avons vu avant. Arrêt "café" avant de reprendre notre marche vers l'immense partie sud-est de la ville appellée "marina"; c'est grand; très grand même; surtout pour piétonner.....parfois le trottoir s'interromp, metamorphosé en entrée de magasin.....changement de niveau grâce à l'ascenseur, et nous voici dans une galerie marchande moderne et chic, qu'il nous faut parcourir dans toute sa longueur avant de retrouver l'air libre, de l'autre coté et de poursuivre notre chemin vers "marina bay", un superbe plan d'eau entouré de constructions délirantes. Ici, les archis n'ont pas dû être trop bridés (bien qu'il y ait des chinois partout.......), ni en créativité, ni en budget, car ça a déliré copieux! Je ne sais pas si c'est la chaleur ou quoi, mais aucun dessinateur ne semble utiliser ce petit instrument, par ailleurs fort répandu, qu'on appelle une règle et dont la caractéristique majeure est d'être rectiligne.....ou alors leurs règles se sont déformés ou ont fondu, toujours est-il que tout est courbe. Une passerelle en tubes d'inox torsadés comme des ressorts permet d'admirer ce somptueux panorama, et donne accès au demesuré hall de "marina city park", véritable galerie marchande du luxe. Toutes les grandes marques mondiales y sont représentées; jusqu'à "Ferrari" qui expose une véritable formule1! on peut la toucher, monter dedans, et l'emprunter un quart d'heure pour faire ses commissions! (rayer les mentions stupides...); personnellement, je l'ai trouvée plutôt mal garée, en biais qu'elle était dans sa vitrine....

Le summum d'époustouflation de la journée, c'est la montée dans cet invraisemblable paquebot cintré, posé sur le toit de trois immeubles courbes de soixante-dix étages! l'ascenseur express vous file, pendant deux ou trois minutes, des bulles plein les tympans, comme en avion, et vous débarquez au ciel avec Singapour aux pieds en panoramique! absolument fantastique! bon, moi ça me colle un peu le vertige parce que tout est vitré alors on se demande si on ne va pas marcher sur rien et partir en piqué comme un apprenti spiderman qu'aurait pas lu toute la notice.....en bas, dans la mare, un groupe de monotypes de régate se tirent la bourre dans des révolins frivoles. Mais, voici que le soleil apparait dans une trouée de la grisaille, signifiant clairement qu'il est grand temps de faire route-retour, toujours à pieds; avec arrêt-photo indispensable devant le Merlion, emblème de Singapour à tête de lion et corps de poisson.

Dîner en restau-trottoir au quartier chinois avant de reprendre le marathon-retour qui s'achèvera sur Catafjord peu avant minuit; bien remplie la journée. Et Singapour, c'est à voir.

Dimanche 7 Octobre:

notre ami Adrien, qui naviguait à bord d'Esquinade en compagnie de son père Jean-François, a troqué son béret d'équipier pour une casquette de capitaine aux commandes d'un canote orange abondamment toilé, équipé d'une jolie demoiselle qui l'est nettement moins.....mais bon, il fait chaud aussi. Nous l'avions quitté à Nouméa il y a un peu plus d'un an, alors qu'il suivait à l'école d'hydrographie le cours de "capitaine deux cents". Nous sommes appelés à nous revoir, car ils suivent le même trajet que nous avec un timing comparable

Tout le monde sait ce que signifie avancer "en crabe. Mais se déplacer en crapaud,....... je ne savais même pas que ça existait; et pourtant, je l'ai vu de mes yeux pas plus tard que ce matin. Depuis plusieurs jours, nous avons la chance de nous trouver au voisinnage immédiat de deux barges équipées de grues; attention, soyons clair, je ne vous parle pas de vagues copains un peu cinglés flanqués de copines aux moeurs légères.....non; je vous parle de ces engins bruyants qui déplacent des tonnes de sable à l'aide de crapauds actionnés par une grue sur chenille solidement arrimée en pontée. Les types qui les manoeuvrent le font avec un étonnante dextérité, balançant dans les airs leurs machoires de ferraille en un improbable ballet d'élégantes arabesques au sein des nuages noirs de leurs gaz d'échappement, accompagnés par l'infernal boucan de leurs diesels: "pollution poétique" en do mineur.....bref, ces barges ne sont pas autopropulsées; en théorie tout au moins; car nos champions du crapaud volant utilisent icelui pour se déplacer en le balançant en avant de l'embarcation, un coup à droite un coup à gauche (comme disait le jeune marié), et s'en servent comme d'un grappin en se halant dessus par pivotement de leur grue. Assez hallucinant comme spectacle! c'est à peine croyable comme ils arrivent à se positionner avec précision gràce à ce procédé original.

Et pendant que j'écris, nos formalités de sortie se font toutes seules; nous n'avons eu simplement qu'à fournir tous les papiers nécessaires aux autorités de la marina, et ils s'occupent de tout! super.

En principe, nous partons demain matin vers le nord, par le détroit de Malacca.