Dimanche 9 Septembre 18h; dure journée! presque entièremenent dédiée à la recherche d'un mouillage convenable pour la nuit. Pas comme celui de la nuit dernière; sa baie largement ouverte au nord laisse parfaitement entrer la moindre petite houle, cependant que le clapot y est considérable dès que le vent souffle de l'Est, ce qu'il ne se gène pas de faire. Cependant, la nuit fût calme, à défaut d'être reposante à cause d'un mal de gorge persistant.

Nous appareillons en milieu de matinée pour une croisière de quelques milles, en vue de trouver un endroit plus "cosy" pour poser la pioche. Au début, ça se met bien; le paysage qui défile nous rappelle cette merveilleuse côte de granit rose qui fût le théatre de nos premiers accouplements à la Miloude et à moi......il y a même un vrai phare comme ça fait des années qu'on n'en a pas rencontré un si beau, même qu'on aurait pu le croire breton s'il n'émergeait d'un bosquet de cocotiers s'épanouissant autour de son fondement. Moteurs stoppés, sous génois seul, nous avançons tranquilou dans une ambiance "petit dimanche romantique". Le phare est doublé; derrière, une immense étendue liquide uniforme ne semble pas disposée à offrir quelque sympathique abri. Puis le ciel s'alourdit, et, en moins de temps qu'il n'en faut à un musulman pour partir en prières, un orage grondant, tonnant, éclairant, effrayant, s'abat sur nous et nous phagocyte en son déluge. Des trombes d'eau, aucune visibilité, et des hauts-fonds partout autour de nous! ah le beau dimanche! mais bon, mis à part cette surabondance aqueuse, tout va bien à bord; et moyennant une bonne vigilence et l'aide des deux diesels, je parviens à maintenir le canote presque sur-place. Puis le ciel se dégage petit à petit, comme à regret, et il nous faudra tout le reste de la journée pour trouver enfin le mouillage qui va bien. Par bonheur, celui-là va vraiment bien .

Lundi 10 Septembre; soleil, ciel bleu, c'est parti pour une journée plaisante. Le village de Nasik, blotti le long d'un étroit chenal déterminé par l'île voisine, nous attire comme un aimant. Les petits péchous locaux déroutent leurs "kapals" colorés pour venir nous saluer, et nous invitent du geste à nous rendre au village. L'absence totale de carte détaillée, autant que les massifs coralliens qui émaillent la baie me conduisent à mouiller prudemment à l'écart. Notre bon vieux Newmatic nous mènera à terre en un quart d'heure, c'est parfait. Un chapelet de pêcheries flottantes, construction de bois sur bidons plastiques bleus précède le petit port où les embarcations sont agglutinées face à un quai sur pilotis. Les villageois sont accueillants; d'ailleurs, ça se devine tout se suite en arrivant: un bistrot vend de la bière au bout du quai! Et quel joli village! propre, pimpant même, avec des fossés entretenus pour les eaux de ruissellement. On se met en quatre pour nous être agréable, allant même jusqu'à porter pour nous le jerrican d'essence et le bidon d'huile que nous venons d'acquérir pour alimenter le hors-bord. Je m'extasie devant un pied de table taillé dans un tronc aux racines lamelliformes, comme les fromagers; immédiatement, un gars file chez lui avec sa mob, et nous en rapporte deux pour faire des tabourets; cadeau! Arjono, qui parle un tout petit peu anglais, nous prend en amitié et nous offre une visite guidée; les maisons sur pilotis, l'artisan qui moule des parpaings, pour la construction des maisons "modernes" (j'aime bien plus celles en bois, mais ça, c'est chacun son goût.....), celui qui fabrique les porte bagages de mob qu'on dirait l'arc de triomphe en rotin, le monument du souvenir qui honore la mémoire de ceux qui ont donné leurs vies pour bouter l'hollandais hors de leur île. Ah! ce monument! c'est surtout au niveau de son mauvais goût qu'il est monumental! avec ce poteau d'éclairage en acier galva, astucieusement travesti en.....cocotier plastique! à vingt mètres des vrais cocotiers qui s'en battent les noix de rire.....la ballade s'achève devant un soda et quelques friandises dans la coquette maison de notre guide. C'est convenu, il viendra, à son tour dans la soirée nous rendre visite à bord, en compagnie de son pote pêcheur.

Bien sûr, il vient; et c'est tant mieux.

Nasik est un vrai joyau, à l'écart des circuits touristiques et offre au voyageur qui prend la peine de faire le détour, une vision bien réjouissante de l'Indonésie.

Mardi 11 Septembre; debout à 4h30 pour partir dès l'aube, nous avançons prudemment dans notre trace de la veille; merci Macsea! Le vent se lève, et c'est sous voiles que nous parvenons au sud de l'île Bangka pour y faire halte; comme bien souvent , la composante thermique du vent s'évanouit avec la nuit, et le clapot disparait. Cette partie de la côte est débordée par des petits fonds qui s'étendent à plusieurs milles du littoral; c'est ce qui donne à la mer cette jolie couleur turquoise qui se marie si bien avec la celle de mes genoux..... Toujours astucieux, nos amis indonésiens ont mis cette caractéristique à profit (les petits fonds, pas mes genoux) pour implanter des dizaines de pêcheries, carrément en pleine mer. C'est bizarre de rencontrer comme ça, au large, une de ces plateformes, aussi gracieuse et fragile vue de loin que merdique et bricolée quand on s'en approche, perchées qu'elles sont sur leur pattes trop maigres.

Les bipèdes qui viennent y pêcher la nuit, attirant leurs proies à l'aide de projecteurs, ne rentrent pas chez eux tous les jours; ils passent donc la journée mouillés sur ancre, en mer, leurs longues embarcation étroites ballotées en tous sens par les vagues; ça roule bien ces canotes là....aussi, ces petits rusés ont-ils mis au point un astucieux système anti-roulis pas cher. Ils ont équipé leurs barques d'un court matereau, à l'avant, sur lequel vient s'amarrer en travers un aviron dans une position telle qu'il lutte efficacement contre le roulis; et ça marche super bien leur truc. Trop fort!

Vendredi 14 Septembre; c'est l'heure de l'apéro et je suis un peu éteint.....Bon, d'accord, ce matin nous avons caréné en plongée, Malou et moi, pendant une heure et demie; c'est épuisant, mais ça n'explique pas tout. Pas plus que la petite expédition en ojek à la ville de Belinyu, pour regarnir un peu le frigo et la soute à légumes. Par contre, peut-être un courant de mimétisme s'échappant de ces nombreux navires-usines, curieux catamarans de style Beaubourg de cinquante mètres de long, ayant pour vocation la pêche et le traitement "in-situ" des alluvions chargés d'étain.....eh ouigre, Bangka est un des principaux centre mondiaux d'extraction d'étain. Tout n'est qu'étain ici.....

Et nous retrouvons des similitudes de paysages avec les côtes qu'avant elles étaient du nord, et maintenant d'Armor, car l'étain, ça pousse dans du granit jurassique; d'où ces énormes galets gris et ronds qui font le gros dos ça et là, le long de la côte, comme s'ils se croyaient en Bretagne.....

Ignorant superbement le "règlement international pour prévenir les abordages en mer", ouvrage poilant s'il en est......les bateaux indonésiens ne sont quasiment jamais équipés des feux réglementaires. Par contre, ils arborent fréquemment ces petites loupiotes à leds et à quatre dollars qui envoient par intermittence un éclat rouge, ou vert ou bleu. Aussi, lorsque les ténèbres regroupent quelques-uns de ces canotes en une grappe unie de somnolence populaire partagée, que ce soit dans un minuscule port ou simplement au mouillage (une seule ancre pour tout le monde), l'arc-en-ciel de feu-follets multicolores qui en résulte a des allures de sapin de Noël,..... et c'est très joli.

Samedi 15 Septembre; le village devant lequel nous sommes mouillés se présente bien curieusement, vu aux jumelles. On distingue nettement une douzaine de cabanes en bois, posées sur leurs radeaux de bidons en plastique bleus......une visite s'impose. Newmatic descend de ses bossoirs, Yamaha pète dix tours d'hélice, et nous y voilà! En fait, les cabanes sont de mini usines d'étain flottantes, équipées d'une moto-pompe et d'un compresseur d'air. Le bazar est d'abord tracté par un canote à moteur pour se rendre sur son lieu de pêche et s'y immobiliser à l'aide d'une ancre de fabrication locale à base de fer à béton que ça doit pas coûter trop cher une ancre comme ça. Bref. Une fois à pied d'oeuvre, un intrépide pêcheur d'étain, jeune de préférence ( que dis-je "de préférence"....forcémment jeune; je ne pense pas qu'on fasse de vieux os dans ce métier.....), descend par vingt mètres de fond suçant avidement son narguilé à deux balles, tout en guidant le tuyau de la pompe afin d'aspirer les fameux alluvions chargés d'étain dont au sujet desquels, je me suis déjà exprimé précédemment, et que le reste de l'équipage tamise, là-haut, sur le radeau.....quand on voit la précarité de leurs installations, il semble probable que les accidents ne sont pas rares.....

Beaucoup de gens sont d'origine chinoise dans le quartier. Les profits tirés de l'étain semblent bien inégalement répartis, si l'on en juge par le contraste entre les coquettes maisons de la rue principale, et les taudis qui jouxtent le littoral.

Malgré une certaine réserve, plus marquée que dans d'autres parties de l'Indonésie, le sens de l'hospitalité est toujours bien présent; hélas, il est difficile d'approndir le contact car personne ne parle anglais.

En ce début d'après-midi, la table du cockpit se couvre d'objets hétéroclites: morceux de polystyrène, baguettes de bois, ficelle, tissu et l'incontournable pistolet à colle fusible. Je vais me lancer dans la construction d'une maquette destinée à valider le concept d'une nouvelle voile que je viens juste d'inventer. En une heure, ma maquette navigue, et c'est un régal! Tout marche comme prévu. Il s'agit d'une voile de portant pour cata de croisière, qui peut se réduire à volonté depuis le cockpit; c'est génial! Maintenant, il me reste juste à trouver la méthode pour faire un peu d'oseille avec ça avant qu'un usurpateur ne s'en empare à son profit.

Dimanche 16 Septembre; 82 milles nous séparent de l'île Lingga, désignée comme prochaine escale; c'est ce qui motive notre appareillage matinal. Hélas, le vent n'est pas au rendez-vous; aussi, la mécanique ronronne-t-elle toute la journée. Avec ça, une chaleur de fournaise.....mais tout se passe bien et la nuit apporte une fraicheur très appréciée, dans un mouillage acceptable......

Lundi 17, toujours peu de vent; pourtant nous faisons tout de même route à la voile. Ici encore, de nombreuses pêcheries en mer jalonnent le parcours; elles sont plutôt plus grandes que celles rencontrées précédemment. En particulier, la maison perchée dessus qui doit sûrement être plus cossue.....probablement que les gens y séjournent plus longtemps.

L'ancre est mouillée à proximité du village de l'île Penoh, juste derrière le reef qui lui assure son calme. L'endroit est délicieux; un chapelet de maisons sur pilotis et de petites pêcheries forment un diadème de bois qui coiffe ce lopin de terre. Derrière, un bosquet de cocotiers égaille l'uniformité grise des façades littorales; à droite la plage de sable blanc invite à accoster....

Une barque approche de Catafjord, mue par une paire de bras vigoureux. Le nageur opère dans une position inhabituelle: debout face à l'étrave, dans la position du gondolier, sauf que lui, manoeuvre deux avirons. L'embarcation présente une similitude frappante avec nos chers doris de St Pierre, mais à l'échelle 2/3; elle est remplie raz le liston de jeunes passager,. Allons nous les maintenir à bout de gaffe au nom du principe de précaution? impensable! En une minute, ils sont tous installés dans le cockpit. Malou leur sert un rafraichissement; je leur joue de l'accordéon. Visite de Catafjord.....la seule fille du groupe, Elie, parle quelques mots d'anglais. Allez les djeun's soyons fous, on vous emmène faire un tour en Newmatic; c'est la fête! Elie nous guide à son tour pour la visite de son île/village. Une centaine de personnes vivent ici, essentiellement de la pêche. C'est très propre, et même plutôt coquet. Nous sommes à 8 kilomètres de l'équateur; c'est pas de la petite chaleur.......les pilotis sont plutôt bienvenus qui permettent de maintenir un peu de fraicheur dans les habitations malgré la fournaise ambiante. Les bateaux, comme certaines maisons, sont remarquablement bien construits. Une nuée de mômes processionnent en notre compagnie; Malou leur enseigne des mots de français. L'île est si petite que nous en bouclons le tour en moins de deux heures. De retour à la plage, une grappe humaine a envahi l'annexe. A notre approche, ils unissent leurs efforts pour la pousser à l'eau; c'est étonnant comme ces gens ont souvent envie de nous faire plaisir, comme ça, pour rien, juste pour le plaisir. Nous nous éloignons un peu à regrets, devant le parterre de mains qui s'agitent.....magie du voyage....l'aurore apporte sa quiétude....., et aussi le brouhaha grandissant des monocylindres chinois: ceux des barques qui partent aux pêcheries pour la nuit, et ceux des groupes éléctrogènes qui fournissent un peu de lumière aux habitations.

Mardi 18; à 8h45, nous franchissons l'équateur pour la quatrième fois depuis notre départ de Nantes. Le vent est toujours léger, mais nous avançons tout de même suffisamment avec les voiles pour progresser vers notre but, donc ça va comme ça....

Mercredi 19; peu de vent, en partant, puis pas de vent du tout......je crois que ça va être comme ça pendant un moment maintenant. Nous croisons une vedette de la marine nationale, mouillée dans un lieu de passage. Les gars nous reluquent à la jumelle; nous leur faisons des signes de bras amicaux.....ils répondent.....c'est fini, nous sommes loin. Pas d'appel en VHF, pas de visite inopinée avec leur Zodiac.....juste un signe de la main! voilà bien des gens pas stréssés; ça fait plaisir. Décidemment, l'Indonésie, ça me plait bien comme pays.....