Mercredi 29 Août; deux sérieuses raisons de venir à Kumai: faire une virée dans la jungle pour s'approcher des grands singes, et rendre visite aux services d'immigration pour faire prolonger notre autorisation de séjour. Une certaine motivation est nécessaire pour affronter tous les avatars qui mènent à Kumai: remontée du fleuve non balisé sur une quinzaine de milles avant de mouiller au milieu des cargos et barges de plus de cinquante mètres face à une cité bruyante et déglinguée. Bref, on ne se retrouve pas à Kumai par hasard.....

Première étape: trouver un endroit où laisser le dinghy, forcémment sur un quai en bois un peu branlant, au bout duquel se pressent en rangs sérrés les nombreux bipèdes qui voudraient bien nous conduire quelquepart.....ils ne parlent que le bahasa indonésia et affirment savoir nous amener au lieu demandé. En réalité, ils n'en ont pas la moindre idée, et se débrouillent d'interroger moults passants ou cousins éloignés en cours de route afin de nous satisfaire; ce n'est déjà pas si mal.

La ville s'étire en longueur, aggripée à la berge de son fleuve par une forêt de pilotis graciles; vue par des yeux de voyageur curieux, elle ne manque cependant pas d'interêt, et se révèle même attachante.

Notre projet du jour: trouver le bon bureau pour obtenir le tamponnage des passeports qui nous autorisera à séjourner en Indonésie quelques semaines de plus. Après deux heures d'investigation, il s'avère qu'il faut nous rendre à Sampit; cent cinquante kilomètres d'un mélange d'asphalte et de trous, excépté les nombreux tronçons qui ont les trous mais pas d'asphalte. En cours de route, il y a aussi les endroits particuliers où l'asphalte est là.....mais il est encore dans le camion....et la circulation n'en est pas interrompue pour si peu.....à peine perturbée.....chacun slalomant avec son véhicule entre les porteurs de pelles noires, bottés de noir, qui s'activent à étaler leur coaltar; comme il pleut, ça vaporise à grosses volutes.....très joli!

Enfin Sampit se pointe. L'hotel est très correct (bonjour le plagia: hotel "Mercury", avec le graphisme des "Mercure", sauf que question standing, il y a encore un peu de boulot......). Balade déambulatoire à pieds dans les rues à la tombé de la nuit, avant de s'alimenter d'une soupe délicieuse nommée "bakso", dans une de ces gargottes à deux ou trois tables, dites "warong" que l'on trouve partout en Indonésie, et où l'addition pour deux repas atteint rarement trois dollars; les gens que l'on y cotoie sont toujours d'une grande jovialité.

Ici comme ailleurs, le vélomoteur est le roi de la piste. Soucieux d'optimisation sans doute, beaucoup de gens pratiquent le "coscouterage"! Loin d'être le fait de quelques insoumis ou anarchistes forcenés, cette pratique est largement répandue et déclinée de diverses manières originales; ainsi voit-on fréquemment à bord d'une simple mob le papa qui conduit, la maman en amazone et en porte-à-faux tout à l'arrière,.....et, deux morveux au milieu! C'est un schéma standard, ça. (Quelle bizarrerie de monter en amazone quand on vit à Bornéo....). Parfois, le conducteur transporte un bébé qui dort; une main pour le bébé, une main pour la mob......et il fume! Le deux-roues est aussi largement affecté au transport de marchandises; ah, elles sont costaudes ces pétrolettes japonaises! par exemple, le gus qui a embrassé la profession de transporteur de carburant, se trimballe tranquilou deux cent cinquante litres en jerrycans! son bourrier fait presque la largeur d'une bagnole!.....no limit!

Jeudi 30 Août; on ne peut pas se déplacer en taxi à l'intérieur de Sampit; personne ne fait ça. On doit prendre un ojek, c'est-à-dire une mob avec chauffeur. Nous lui préférons le "becak", sorte de pous-pous à trois roues mû par les jarrets gaillards d'un "jeune qui n'en veut"; original en diable, à défaut d'être confortable pour qui dépasse un mètre cinquante; la capote, en voie de décomposition avancée, me sert de couvre-chef malgré un recroquevillement maximum ( je ne me suis pas rasé ce matin; ça me râpe les genoux.....). L'ergonomie du siège....ne correspond à rien d'humain; peut-être est-ce conçu pour des orang-outans, et que je ne suis aperçu de rien......la boulette, quoi! Bref, le gars est dégourdi et nous sommes rapidement devant le bureau de l'immigration. L'épreuve de patience va pouvoir commencer.......

22 heures; ouffffff! et voilà! nous sommes de retour à bord de Catafjord et les passeports sont tamponnés! de la patience, il en a fallu, mais pas seulement avec l'administration.....ça a aussi été bien laborieux pour trouver le taxi-collectif de retour. Par chance, le chauffeur en était un as du volant; clignotant actionné en permanence, il doublait, disons vingt fois par cigarette.....et c'est un gros fumeur. Je lui imagine volontiers quelques ennemis chez les motocyclistes qu'il a envoyé sur le bas-coté, nuitemment, lors d'un dépassemenet scabreux .....bref, l'histoire se termine au mieux; l'annexe a été l'objet de l'attention de riverains qui l'ont vidée après la pluie, et Catafjord est resté sagement accroché au fond du fleuve par la magistrale "Rocna"; tout va bien; inch allah, bonne nuit.

Vendredi 31 Août; déjeuner au warong; deux "mie-ayam" (nouilles au poulet et légumes) pour deux dollars et demi; la discussion est animée avec la taulière et ses voisins. J'ai oublié mes tongs avant de monter dans l'annexe, et donc je suis pieds nus....ça les fait écrouler de rire. Lors de la promenade digestive qui suit l'acquisition des nouvelles tongs, nous découvrons un incroyable site de production d'éléments de couverture et bardage. Assises sous des toits de palmes au raz de leurs têtes, une vingtaine de personnes, dont quelques enfants....., fabriquent des "panneaux" en liant des feuilles de palmiers qu'une autre équipe a préalablement été cueillir en barque sur l'autre rive du fleuve. Aussi assidus que bien organisés, ils en produisent des tas, qui sont bientôt enlevés par camion pour être vendus. Chaque famille a son "box" de travail; un vieux maquereau à barbichette, rondouillard et simili-cossu, passe avec son cahier et comptabilise les résultats, probablement en vue de calculer au plus juste l'aumône qui rémunèrera ces braves artisans .....comme souvent en Indonésie, ces conditions de vie peu poilantes ne rend pas leurs acteurs neurasthéniques; le peu que ça leur rapporte est jugé incomparablement supérieur au "rien" de l'inaction.

J'ai vu sur internet qu'un animateur vedette de la télé française vient de casser sa pipe, précipitant dans le chômage la moitié des agriculteurs colombiens à cause de son ultime maladresse.....ah, tout de même ces vedettes! je me demande si les gens ne sont pas parfois trop tolérants avec leurs sottises.....pet à son âme.

Nouvelle scène de vie à Kumai: un groupe de quatre femmes, à quatre pattes dans les immondices, réparent le "kapal", une grande barque à aviron à la proue ruinée. Nous approchons. Les madames s'affairent, qui au marteau, qui à la scie, pour refaire à leur embarcation un cul digne de ce nom.....bon! vu de près, leur mérite majeur est incontestablement de s'être attaqué courageusement à cette tâche, afin de pouvoir naviguer au plus tôt. Sinon, question "technique", y aurait à redire.....mais bon! pour un petit pays comme ici, ça fera l'affaire, et leur optimisme fait plaisir à voir.

Samedi 1er Septembre; journée d'organisation de notre visite prochaine de la jungle, en klotok; le parc national de Tanjung puting mérite bien une excursion sur deux jours, c'est pourquoi le klotok s'impose. Une petite escapade matinale en Newmatic dans la rivière voisine nous donne un avant-goût: génial! Ce genre d'incursion en territoire forestier est toujours plein d'attraits. Etrange équilibre entre rudesse et quiétude, le bleu du ciel, le vert de la canopée, et le brun de l'eau qui nous porte....mais il est déjà onze heures, et donc bien trop tard pour espérer rencontrer des animaux sauvages.

Trente kilomètres en ojek, chacun sa mob, nous amènent à Pangkalan bun, une vraie ville, avec des boutiques, deux rues principales, quelques hotels, etc, etc, et, aussi, un autre fleuve. Les berges en sont particulièrement attractives: une cité lacustre linéaire. Tout est sur pilotis: les habitations, qui se jouxtent en une longue rue, alternant parfois avec une boutique, mais aussi le chemin de planches et ses "affluents" qui relient la voie côtière au reste de la ville. Déjeuner au warung: soupes et bananes frites, 80 centimes d'euros pour nous deux!.....et pourtant: gaspillage! mais gaspillage imprévisible, car, de retour dans la cité, les flons-flons d'une fête nous attirent, cependant qu'un type nous interpelle pour nous y convier. Nous avançons; surprise: c'est un mariage! Nous sommes accueillis à bras ouverts comme si nous étions de la famille. Serrage de mains, congratulations, nous nous retrouvons promptement une assiette à la main, dirigés doucement vers la salle à manger où la table se trouve être un tapis posé au sol et qui occupe les trois quarts du plancher. Nous attaquons donc notre deuxième repas, assis au sol, comme les autres convives. Les gens sont très bienveillants à notre égard et manifestent rapidement leur souhait de se voir photographier en notre compagnie. Débute alors une longue scéance de photos où tout un chacun vient poser collé-sérré avec les visiteurs.....ça porte bonheur.

Ce qui est à peine croyable, c'est que, de retour à Kumai, une nouvelle invitation à un mariage s'offre à nous.

20h30; le retour! c'est bien la première fois de notre vie que nous rentrons de mariage à une heure pareille; avec pas une goutte d'alcool dans le buffet, en plus! Récit:

Arrivant à la fête, un petit comité d'accueil disposé en file à l'entrée nous serre la louche chaleureusement, avant de nous pousser vers le buffet, tout proche. La musique est très forte, ambiance boite de nuit; pas besoin d'échanger de parole.....ça nous arrange. Presque en face, sur la scène, les mariés et leurs parents sont alignés comme des trophés,semi-rigides, empesés..... Remplissage des assiettes au buffet avant de nous rendre à une table vacante, sur laquelle sont artistement disposés des dizaines de gobelets en plastique remplis d'eau ; que d'eau, que d'eau, que d'eau......pas une goutte de picrate, pas le plus petit soupçon d'apéro, nous sommes en pays musulman. On se pose. Puis on mange, proprement; il faut en laisser un peu dans l'assiette, par politesse. Et, hop, debout; il est temps, à présent, de s'immiscer dans la procession qui défile devant les mariés et leurs parents, pour un petit serrage de louche, avant de prendre la sortie. Re-salut au comité d'accueil, dans l'autre sens cette fois. En notre qualité d'étranger porte-bonheur, nous avons droit à un rappel pour photo-souvenir avec les jeunes époux.

Dimanche 2 Septembre, 8h30; notre klotok aborde Catafjord, son équipage au complet: capitaine, mécanicien, la cuisinière et notre guide; quatre personnes pour deux passagers! nous voilà revenu aux fastueux temps de la "french line"....Mr Majid, le boss, est venu avec son petit personnel afin de visiter aussi notre "yacht"; il est ébahi! Le "Satria I", qu'il nous a alloué, se trouve être son premier et plus ancien klotok; également le moins confortable et le plus bruyant. Dès le commencement de la croisière,lLa curiosité m'attire vers la "bécane", située juste sous le plancher; hélas l'installation est déplorable, et le moteur à échappement libre......l'eau a envahi les fonds car la pompe de cale est à déclenchement manuel.....très manuel même, car il n'y a pas d'interrupteur, et le chef mécanicien doit tortiller les fils entre eux pour connecter la pompe; je ne peux m'empêcher de rédiger quelques croquis pour améliorer le bouzin à peu de frais, mais je suis certain que Majid n'en a rien à péter, et que, fort de ce que "ça marche comme ça", il ne fera rien ....pourtant, traverser un parc naturel avec un tel boucan, quel scandale!

Après quatre heures de "petit clac-petit boum" sur les méandres en eau brune, camp Leakey est en vue. A peine amarrés, la rencontre du premier orang-outan est un moment fort. Leurs nombreuses mimiques et diverses attitudes à caractères humains nous captivent. Les mères et leurs petits, en particuliers ont entre eux de très touchantes attentions. Espèce en voie de disparition, ils bénéficient ici de nombreuses mesures de protection. Ainsi ces stations de nourissement où le cousin humain leur apporte quotidiennement bananes et cannes-à-sucre afin d'assurer la subsistance des plus faibles. Pour les visiteurs, c'est l'occasion de les approcher de près. Nous avons la chance de croiser en chemin, le "roi"; imposant animal qui a pris l'ascendant sur les autres mâles du secteur après quelques bonnes bagarres. Les guides s'entourent de moult précautions pour que nous ne l'approchions pas de près car c'est un animal sauvage et puissant qui peut se montrer belliqueux....(eh, oui! si y croit déceler dans mon regard un soupçon d'intention de devenir le mâle dominant de la jungle, il risque d'avoir l'idée de m'en coller une, alors que moi, en fait, je faisais que passer....y risque rien....et puis, même, bon, admettons que je m'en occupe, alors après, je serais obligé de rester habiter là tout le temps..... merci bien! et, je fais comment pour l'accordéon?....et pour l'apéro?....ça va pas non? tu parles d'une idée!)

A l'approche de la nuit, notre personnel de cabine nous installe deux matelas sur le pont, coiffés d'une moustiquaire, et qui constituent ainsi la chambre quatre étoiles où passer une nuit sereine. Avant d'éteindre les feux, un court concert d'accordéon me vaut remerciements et congratulations de la foule en délire....

Lundi 3 septembre; les orang-outans ne sont pas des gens ponctuels; la preuve, à la scéance de restau du coeur de neuf heures, on n'en voit pas la queue d'un! Mais le spectacle est tout de même au rendez-vous; avec la vingtaine de touristes, agglutinés au coeur de la jungle en une scéance de transpiration collective, le regard fixé sur une plateforme en bois, surmontée......d'un simple régime de bananes......; comme par dérision, le seul animal visible sur cette drôle de scène est un pauvre papillon tout ce qu'il y a de plus commun.

Sans doute les orang-outans sont-ils une espèce en voie de disparition, cependant, nous pouvons témoigner que certains sujets mènent une dure lutte pour enrayer le phénomène. Ainsi ce bon pépère qui, installé sur la table à coté du tas de bananes, commence par se donner quelques forces en avalant un demi-régime à lui tout seul, avant de se rapprocher subrepticement de la galante qui se restaurait en sa compagnie. Regard langoureux.....un petit doigté d'accueil, et voilà notre inséminateur installé dans la place...... Besognant placidement la coquette en regardant ailleurs, il accomplit sans hâte sa mission reproductive sous le regard goguenard de la populace touristique. C'est clair, notre étalon n'est pas un excité; y prend son temps! s'autorisant même une petite pause de temps en temps, mais tout en restant à fond dans le sujet.....la sécrétion libératrice finale ne lui inspire aucune manifestation particulière: ni enthousiasme, ni déception.....juste il se déplace un peu pour retourner au casse-croûte....Après une petite collation, disons une demi-heure, pépère, remonte dans l'arbre pour une digestion méditatoire....que lui passe-t-il par la tête à ce moment là?, allez savoir, toujours est-il qu'il attrape par le bras une coquine qui trainait sur la liane voisine et lui explique vite fait que c'est son tour..... La fille roumègue un peu, mais, pépère lui explique brièvement qui c'est qui pisse debout et procède à une introduction aérienne, après la petite inspection buccale d'usage.....du grand art! suspendu à deux lianes, le regard perdu dans le lointain, comme le boulanger qui pétrit son pain d'un mouvement lent et régulier, il prépare professionnellement sa deuxième obole dédiée à la survie de l'espèce.....quel sens du devoir tout de même. Par contre, la coquine m'a semblé s'emmerder un peu.....pas un bon poinr pout lui ça.

De retour à bord de Catafjord au terme de cette passionnante excursion, une désagréable surprise nous attend: la porte est ouverte.....quelqu'un est monté à bord en notre absence. La première inspection nous laisse à penser que rien ne manque.....hélas, nous découvrons bientôt que les jumelles ont disparu, ainsi que les accessoires du kayak sauf un des deux "mirage drive".

La majeure partie du mardi est consacrée à "l'affaire"; informer les autorités et questionner les acteurs du tourisme en jungle.

En point d'orgue, la visite à bord des vrais policiers venus promener leur inefficacité, suivie par la venue de quelques-uns de leurs potes, en curieux, mais tentant tout de même de se faire passer pour des agents de l'état; Catafjord constitue une curiosité très à la mode ici. Le show prend fin lorsque notre patience a atteint ses limites, avec l'interdiction pure et simple de monter à bord signifiée fermement à un grand échalas à jean's déchiré qui arrive.....en taxi! Salutations, polies, et tout le monde remballe en trois minutes; enfin tranquilles!

Mercredi 5 Septembre;

Pour conclure, nous pensons que les gens du business "klotok" sont fortement concernés d'une manière ou d'une autre par ce vol (qui nous coûte environ 800 dollars), que ce soit la compagnie avec laquelle nous avons fait la balade ou un de ses agents. Et même, à supposer qu'ils y soient étrangers, je suis certain, en tous cas, qu'ils sont capables d'identifier l'auteur en trois coups de téléphone. Pourtant, nous quitterons les lieux dans la matinée sans avoir récupéré nos affaires.....

Je recommanderais à ceux qui nous suivront ici d'être plus prudents qu'à l'accoutumée, car, bien que la grande majorité des gens soient honnêtes, quelques voyous rôdent à l'affût des milliardaires comme nous.

Je dirais aussi qu'il m'a paru tout-à-fait possible d'aller faire une excursion sur la rivière avec son propre dinghy, à la condition de s'acquitter des différents droits et taxes dûs aux autorités du parc (la grande maison verte au nord de la ville, sur le bord du fleuve), et de se renseigner précisemment sur ce qui est autorisé (je crois qu'on ne peut pas marcher dans le parc sans guide).