Dimanche 19 Août; croisière de rêve le long de la côte Nord de Bali. L'alizé stable nous propulse gentiment de l'arrière, cependant que défile sur notre gauche un paysage somptueux: montagnes et cratères de volcans en arrière plan, et une interminable cocoteraie en bande côtière. Les plages de sable noir servent de parking à des centaines de pirogues à balanciers. La mer est calme; le confort total; c'est vraiment fantastique de se balader ainsi en profitant de la douceur de son "chez-soi", cependant que le monde s'exhibe devant notre terrasse. Chacun peut s'adonner à ses occupations favorites, lire, écrire, faire de la musique, préparer le repas (hi,hi,hi, on prend son plaisir là où on le trouve....), s'occuper de la marche du bateau, et, chaque fois qu'on lève la tête, le paysage a changé! on est au spectacle tout le temps! Et ça, la plus cossue maison du monde, elle peut se brosser avant de l'avoir.....Par contre, hier, pour quitter Serangan, c'était moins sympa....à cause du fort courant et du vent irrégulier; on ne peut pas tout avoir. Nous avons eu un passager clandestin à cette escale: un petit rat, monté à bord par une amarre . Heureusement, il n'a pas pu pénétrer à l'intérieur des emménagements. Quand nous l'avons entendu courir nuitemment sur le pont, nous avons bondi immédiatement, le pourchassant avec un projecteur (pour lui coller un coup de projecteur bien sûr), et il n'a pas demandé son reste, nous abandonnant dans sa fuite quelques petites adorables crotounettes en souvenir......( je sais, ça peut paraitre bizarre cette affection pour ce qui n'est, après tout, que des merdes, mais c'est parce qu'on était tellement content qu'il se soit barré).

17h30: plouf; le camion est immobilisé devant Lovina, tranquille station touristique, charmante et, bien sûr, un peu trop encombrée de ....touristes (sauf les deux charmantes baigneuses belges venues nous saluer à la nage depuis la plage). Les touristes, ça pollue un peu les autochtones.....aussi retrouvons nous ici les habituels désagréments provoqués par le quémandeurs de tous poils qui ne manquent jamais de s'épanouir dans les lieux où la manne touristique abonde. Mais, ne boudons pas notre plaisir, l'endroit est ravissant . A l'heure de la belle lumière, une foule dénudée à la peau pâle se presse sur la plage, bien alignés, face au spectacle quotidiennement renouvelé: le soleil qui débauche en habit de caranaval. C'est assez amusant à vivre depuis le bateau, car nous nous trouvons évidemment devant le public, exactement comme si c'était nous les vedettes......poilant! pour ajouter à l'ambiance, je sors mon accordéon.....et là, ça ne traine pas: bingo! le Julio Iglesias des minarets entamme aussitôt sa rengaine lancinante!!!!!! décourageant. Puis, à l'heure où le gris a bouffé toutes les couleurs du jour, où la brise thermique s'évanouit, laissant la mer comme un plat d'argent martelé, où les pirogues remontées sur la plage semblent se blottir aux pieds des cocotiers, où la silhouette noire d'un bourrier de pêche local devient majestueuse dans le peu de lumière subsistant encore du coté du couchant, eh bien à ce moment-là, Lovina la touristique, devient une escale magique.

Lundi soir; nous avions projeté de retourner à terre en fin de journée, après notre randonnée du jour, en vue d'assister, peut-être, à un spectacle de danses balinaises, mais voilà, on est trop bien à bord....alors on n'y va pas! ce sera pour une autre fois.... Déjà s'allument au large une multitude de loupiotes blanches, signes évidents de quelques projets halieutiques nocturnes. Lors de nos cabotages indonésiens, nous rencontrons fréquemment, parfois plusieurs milles au large, des radeaux de bambous mesurant environ quatre à cinq mètres de coté, signalés tantôt par un pavillon, tantôt par des branches de palmier, tantôt, hélas par que dalle, ce qui donne de sérieuses chances d'en aborder un. Ces objets flottants, reliés au fond de la mer par un câble et une ancre remplissent la fonction de plateformes de pêche. Une île flottante disons. Les propriétaires s'y installent pour la nuit, et attirent leurs proies à l'aide d'une lumière intense, un peu à la manière d'une tenancière de maison close, sauf que là, il faut une pirogue pour y aller....ça donne bien à ce qu'on m'a dit (je parle pour la pêche aquatique...).

Mardi 21 Août 8h; nous quittons Bali, direction Java, la trépidante voisine. Peu de vent; route voile et moteur. La mer de Bali présente un désagrément notoire: elle est vachement craspouète. Les immondices variés y foisonnent dans toute la bande cotière, ce qui est bien fâcheux car l'eau est plutôt transparente.

Le nouvel alternateur balinais fait merveille, envoyant jusqu'à cent ampères, ce qui est particulièrement appréciable au moment de remonter l'ancre.

A l'occasion des nombreux milles parcourus au moteur ces derniers temps, j'ai pu calculer précisemment notre consommation de gas-oil, optimisée l'année dernière par le montage d'un réacteur Pantone de type "Econokit"; elle s'établit à 3,3 litres par heure lorsque le moteur tourne à 2200 tours/minute. La vitesse du canote étant alors de 5,6 noeuds, notre conso est d'un peu moins de 0,6 litre/mille parcouru. Si on parle d'une circumnavigation de 30000 milles, il faudra dix-huit mille litres de carburant pour boucler le voyage; au prix moyen de un euro le litre (ici c'est 40 centimes d'euro.....), le budget gas-oil sera de 18000 euros!!, soit même pas le prix de la grand-voile et du génois de Catafjord.....! à l'évidence, voyager à la voile est incomparablement plus coûteux que de le faire avec un canote à moteurs. C'est d'autant plus vrai que tous les voiliers de croisière modernes sont largement motorisés et cumulent donc les coûts associés à la voile et aux moteurs. Bien entendu, naviguer à la voile offre un charme particulier non dénué d'interêt en soi; mais si l'on est surtout attaché à l'idée de voyager en emportant sa maison avec soi, alors s'encombrer de tout cet arsenal ruineux que sont mâts, voiles, gréement, winchs, poulies et autres bloqueurs, constitue une remarquable manière de s'emmerder pour pas grand'chose tout en se ruinant. Aussi, amis tourdumondistes, si vous voulez ma recette pour découvrir le monde en mode "économique", la voici: prenez un bon voilier moderne auquel vous ôtez tout ce qui sert à faire de la voile, y compris la quille pour les monocoques (au fait, je crois avoir compris qu'un coq, c'est multipoules, mais est-ce qu'une poule c'est monocoq ou multicoq.......? sans doute, c'est pas trémaran en tous cas....), fiabilisez l'installation mécanique, ajoutez quelques réservoirs de carburant, et vous obtiendrez le plus efficace des croiseurs motorisés. J'ai bien hâte que ce soit mon cas.....

Mercredi 22 Août; l'arrivée à notre première escale javanaise s'est présentée sous les meilleurs auspices: fond de bonne tenue, eaux calmes, accès facile et toute cette sorte de choses. Aussi, j'envisageais de la recommander aux potes qui voudraient en profiter. L'appareillage ce matin est nettement moins enthousiasmant: des dizaines de bateaux de pêche locaux ont envahi la mer jusqu'à plusieurs milles au large, qui tractant une ligne de traine de soixante mètres, qui relevant un immense filet déployé en cercle, qui surveillant le filet de trois cent mètres de long qu'il a installé entre deux bouées.... le tout sur une mer desordonnée et sans vent! pas tellement cool comme début de journée. D'autant qu'il faudra attendre la fin de la matinée avant de toucher une brise timide; laquelle nous emmènera tout de même sous le vent de l'île Giliang avant la nuit.

Nous y voici, mouillés au milieu de plusieurs canotes de pêche venus reposer là leurs équipages avant leur appareillage nocturne. Ces bateaux sont très différents de ceux que nous avons rencontrés jusqu'à présent. Deux types d'embarcations distincts se cotoient; les unes entièrement pontées sont surmontées à l'arrière d'un abri dréssé sur quatre colonnes où se tiennent les deux membres d'équipage; les autres, ressemblant à de gros canoës, avec des étraves de drakkar normand, bas de franc-bord au milieu, et dont les extrémités semblent s'élancer vers le ciel en deux pièces effilées et verticales, l'ensemble arborant couleurs vives et décorations sophistiquées. Le gouvernail est constitué d'une sorte d'aviron en appui sur une potence en déport sur un coté. La propulsion est assurée par un bruyant monocylindre, et complétée aux allures portantes par une voile triangulaire en toile grossière tenue par des bambous. Sur certaines, un rustique abri en pontée a l'allure d'un toit d'ardoises à deux pentes.

Jeudi 23 Août; reveillés à l'aube par le barde local et sa sono de kermesse, nous quittons Giliang au lever du soleil; nos compagnons de mouillage sont partis taquiner le maquereau depuis longtemps. Nous avons un peu d'appréhension à naviguer le long de la côte Nord de Madura, craignant qu'elle ne soit rendue infréquentable par toutes sortes de pièges à poissons variés, mais en fait, il n'en est rien. Les difficultés ne sont pas toujours où on les attend, et nous passons une bonne journée de cabotage, avec un peu d'air pour gonfler les voiles, un agréable paysage, aux reliefs peu prononcés certes, mais agrémenté de charmants villages, et la mer douce et belle. Par contre, cette côte n'offre aucun abri digne de ce nom, aussi, au soir, c'est quasimment "en mer" que nous mouillons la pioche, pour nous faire, ensuite, trimbaler toute la nuit par une houle résiduelle.

Vendredi24; appareillage avant même le lever du jour, direction Bawean, 75 milles dans le nord. Encore une belle collaboration voile/moteur, car le vent est trop faible pour tenir la moyenne nécessaire. Les pêcheurs du matin sont déjà en route vers leurs lieux de pêche, croisant les noctambules, qui, eux, rentrent livrer leurs prises de la nuit. Leurs bateaux, magnifiques, sont encore un poil différents. Toujours le style "drakkar", mais ils arborent deux curieux espars courbes ressemblant à des crêtes artistement décorées et portant un nom propre; je n'ai pas pu savoir si c'est celui du bateau ou de l'armateur. Le petit abri arrière accueillant le barreur est sophistiqué à souhait et brille de mille feux comme s'il hébergeait Allah soi-même. L'équipage est constitué d'une dizaine de clampins; leur filet de pêche est si imposant qu'il occupe tout le pont et dépasse en hauteur de presque deux fois le franc-bord!

Dimanche 26 Août; malgré le timing serré, nous nous attardons une journée supplémentaire, pour visiter Bawean en vélo. Cette escale est délicieuse! Pas de touriste....... les gens sont incroyablement accueillants et hospitaliers. La vie s'écoule simplement, sans richesse et sans misère; les gens ont tous de quoi s'occuper. La terre et la mer fournissent à manger à qui prend la peine de cueillir; aussi tout le monde parvient à se procurer plus ou moins de superflu. Bien sûr certaines maisons sont plus confortables que d'autres, comme presque partout .......mais il semble régner une qualité de vie exceptionnelle. En deux jours seulement, nous faisons plusieurs rencontres agréables. Ce midi, nous déjeunons chez Natsir et son épouse; douanier en retraite, il parle un peu anglais et nous donne des tas de détails sur la vie à Bawean. Il est aussi auteur, et a écrit une pièce de théatre qui se jouera a Singapour le 15 Septembre: ça parle de l'avenir des jeunes musulmans et musulmanes ( on voit bien qu'Allah s'en fout de l'anglais; sinon on dirait une musulgirl....logiquement).