Vendredi 20 Juillet; les jours se sont un peu ressemblés depuis Lewoleba: départ à l'aube, au moteur, sans vent. Puis d'irégulières brises thermiques donnent droit à quelques milles de navigation à voiles, avant que d'atteindre le mouillage précaire qui laissera la voie libre à la petite houle du large pour nous secouer un peu. Mais aujourd'hui, c'est différent. Etape relativement courte, avec arrivée prévue en début d'après-midi afin de pouvoir naviguer à vue entre les dangers, car nous n'avons pas de carte marine correcte. De fait, le soleil est encore haut lorsque nous arrivons sur zone, et les zig-zags au milieu des hauts-fonds, aidés par quelques "way-points" relevés sur un guide nous font finalement vivre un moment agréable, malgré les difficultés. Quand à l'aboutissement, je veux dire l'instant précis où Malou déclenche la descente de l'ancre en vue d'ancrer les bases d'une nuit sereine, eh bien là, c'est un régal! on ne peut rêver mouillage plus enthousiasmant! toutes les conditions sont réunies: sécurité maximum, paysage magnifique sur 380° ( c'est vous dire!); avec ça, papaye sur le clafoutis: un délicieux village se niche au fond de l'anse, habité par des gens simples et gentils; un paradis! Nous serions bien enclin à trainer ici un moment si notre "cruising permit" n'était si éphémère et le paquet de milles restant à parcourir si copieux. La nuit enveloppe bientôt notre hâvre de paix, apportant avec elle une intense activité halieutique; une dizaine de pirogues équipées de lampes à pétrole forment un mur de lumière le long de la mangrove. Par moments, le silence est déchiré par les cris perçants des singes hurleurs qui se balancent des insanités à distance, relayés dans leurs élans par les clébards du village; un vrai concert!

Samedi 21 Juillet; anniversaire de Malou. C'est en kayak que nous accostons la grève où les pêcheurs ont juste terminé de dépecer leur poisson; après nous avoir aidé à tirer notre embarcation au sec, ils nous guident vers leur village. Les enfants se pressent autour de nous dans un brouhaha de "hello, mister". L'accueil des villageois est très enjoué; quand au village, il est très propre malgré l'absence de sophistication; large rue principale en terre, avec, de part et d'autres, des maisons de bambous et toits de palme (il y a aussi de la tôle ondulée.....hélas); chaque famille a délimité son aire à l'aide d'une modeste clotûre en bambou, et seuls les chiens ont accès aux lieux de vie des humains; les immondices ne trainent pas comme c'est le cas dans les agglomérations plus grandes. Souriants facilement de tous leurs chicots, les gens ne semblent pas malheureux. A notre retour d'une petite marche sur le chemin de terre bordé de bananiers et de champs de maïs, notre pote le pêcheur tient à nous faire son petit cadeau de bienvenue en nous offrant des noix de coco.....il s'approche d'un arbre, machette à la ceinture, se signe, et grimpe à mains nues sans aucun accessoire, calant simplement ses pieds dans des petites encoches taillées dans le tronc. En une minute, il est au sommet, choisit les noix et les fait choir dans un bosquet pour qu'elles n'éclatent pas en atterissant. Bientôt, toute la famille se presse autour de nous pour tenter de faire connaissance malgré la barrière de la langue. Ils sont aux petits soins avec nous, apportant des sièges, puis des verres pour boire l'eau de coco et des cuillères pour manger la pulpe. Par chance, nous avions, de notre coté, emporté quelques présents à leur offrir: stylos billes, hameçons, savons, et du chocolat; ils semblent apprécier. Malou a déjà mémorisé quelques mots de bahasa Indonésia qui permettent d'échanger nos prénoms, nos âges, et d'où qu'on vient; c'est peu mais déjà beaucoup mieux que rien. Joli cadeaux d'anniversaire que ces moments simples partagés avec des gens authentiques et paisibles. De retour à bord, une bonne bouteille de Lalande de Pomerol (offerte par un beau-frère, François, le roi du boogie-woogie avant ses prières du soir.....) est débouchée....on n'a pas tous les jours vingt ans....excursion en kayak dans la mangrove au coucher du soleil, suivie d'un petit massage.....bon anniversaire Malou.

Dimanche 22 Juillet; navigation "à la tablette"....avec une photo satellite de google hearth pour pallier l'absence de carte, carles embûches sont partout dans cette baie, par ailleurs tout-à-fait accueillante. L'ancre touche à peine le sable qu'une nuée de gamins arrivent de toutes parts à bord de leurs pirogues à balanciers bambous et s'agglutinent à nos poupes comme la vérole sur le bas-clergé.... ça piaille fort....et ça quémande trop!...mais les mômes sont patients, et opiniâtres, et charmants. Aussi, bien peu repartent sans un stylo, ou un cahier, voire un gâteau; nous en profitons pour "écouler" les revues australiennes ammoncelées dans le carré; ils sont ravis. Un peu crampons tout de même, et il faudra éconduire assez fermement les retardataires pour parvenir à apprécier tranquillement notre coucher de soleil.

Lundi 23 Juillet; l'étape est longue; donc, départ à l'aube, en raclant un peu le corail car j'ai omis de garder la trace d'arrivée et on ne voit pas bien le passage; ouf! ça a passé. Peu de vent; route moteur à l'exception d'une petite heure en milieu de journée et une demi-heure en arrivant. Devant Labuan bajo, une bonne surprise: Badinguet, le fougueux baudet de nos amis, est mouillé là.....et donc l'apéro est partagé avec Pascale et Nicolas, avant d'aller ensemble casser une petite graine à terre pour cinq euros par personne. Ils nous refilent des tas d'infos pratiques pour la suite.

Mardi 24 Juillet; Labuan bajo est une petite ville pas spécialement typique, pas trop sale, et assez orientée "tourisme"; quantité de boutiques proposent excursions et artisanat local; on y entend parler français à chaque coin de rue. La baie, pas trop mal abritée, héberge une myriade de canote variés: des "galions" de charter aux larges trimarans de pêche à la structure gracile, en passant par le petit cargo vraquier et les pirogues de pêche au lamparo. Je trouve que les Indonésiens ont un grand sens de la construction navale car on voit ici un nombre impressionnant d'embarcations différentes souvent pourvues d'astuces techniques judicieuses. Les barques à moteur thermique à refroidissement à air en font partie; leur longue ligne d'arbre extérieure peut se relever pour beacher ou franchir un haut-fond. Ici encore, comme nous le voyons depuis notre entrée en Indonésie, les gens ne font pas la gueule; et c'est agréable.

Mercredi 25 Juillet; il faut nous acquitter d'une petite corvée avant de lever l'ancre: descendre à terre pour y acquérir une bouteille de gaz de 16 kilos et le détendeur qui va avec, car il n'est pas possible de faire recharger nos bouteilles ici, (malgré que nous en ayons trois types différents....). Grâce au cabas à roulette qui me confère ce look "gogole écossais" qu'on me jalouse dans le monde entier, à onze heures, c'est bâché et nous sommes de nouveau pleinement gazés. Il n'est pas trop tard pour cingler sur Rinca, à une douzaine de milles d'ici. Navigation lacustre; ça et là, le bleu de l'onde est zebré de taches turquoises, que c'est vachement beau! ça fait genre lagon polynésien. A Loh Kima, base d'accueil pour les visiteurs de dragons sur l'île de Rinca, deux bateaux français, "Ultreïa" et "Yovo", sont déjà en place.....l'occasion de faire connaissance autour de quelques gorgées de rhum avec un peu de sucre dans le fond du verre....nous nous sommes déjà croisés plusieurs fois par le passé, mais l'opportunité ne s'était pas encore présentée de prendre le temps de converser.

Jeudi 26 juillet; on le dit peu, mais, les dragons de Komodo sont des bestioles qui ne manquent pas de cotés attachants....déjà, ils vouent un amour immodéré à leur progéniture, malgré que ces petits ingrats ne leur en soient nullement reconnaissants; la preuve, sitôt sortis de leur coquille, après pourtant neuf mois de solitude, tout ce qu'ils trouvent de malin à faire, c'est de grimper vite fait en haut d'un arbre pour se soustraire à l'affection maternelle. Bon, c'est vrai que la femelle dragonne, elle aime son petit comme elle aime le beafsteak, si vous voyez le genre; c'est plus gustatif que sentimental comme attirance.....ceci explique peut-être celà....d'ailleurs, reflexion faite, j'ai bien cru remarquer dans le fond de ces petits yeux, souvent fermés, une expression d'affection culinaire un peu inquiétante....peut-être le dragon de Komodo est-il un peu amer en son for intérieur d'être si rarement choisi comme animal de compagnie; c'est vrai qu'une langue fourche de trente centimètres , c'est moins commode pour faire des léchouilles que le bout de bacon qui pend de la gueule haletante du bon toutou à sa mémère....faut reconnaitre

Par contre, nous n'avons point vu de buffles....le syndicat d'initiatives les avait-il rapatriés pour entretien ce jour?, je ne sais pas....mais, nous avons pourtant eu la preuve qu'ils fréquentent le quartier.....des preuves merdiques, mais, bon! si vous aviez pu voir ces impressionnantes mottes marrons sous les ombrages!!!! ah ça, c'est pas crottes de biques! voilà des bestioles qui n'hésitent pas à vous parachuter des tourtes de dix kilos pièce ( je dis au pif.....j'ai pas mesuré)....mais, bon, bref, on n'a pas vu les bovins, et pourtant, nous avons dû faire supergaffe pour ne pas se maculer les pataugas.....

Donc, voilà, ça, maintenant, c'est fait! Disons tout de même en passant, qu'ici à Loh Kima, les curieuses bestioles que l'on peut admirer en plus grand nombre, sont ces bipèdes rougeoyants portant un appareil photo en sautoir et qui cachent leurs regards vides derrières une paire de carreaux tintés....allez, on va bouger, je crois.

Direction l'ouest de l'île où nous devrions trouver un mouillage plus sauvage. Les courants sont très violents dans les parages, causant fréquemment d'énormes marmites à la "peau du diable"; avec les cartes fausses et sans aucun détail, la vigilance est de rigueur. Rinca et Komodo font partie d'un parc national inscrit au patrimoine mondial; les paysages somptueux y sont tantôt luxuriants, tantôt désolés et la présence humaine discrète et rare. Arrivant dans la baie Loh Gingho, les macaques installés sur la plage s'éloignent nonchalamment à notre approche. Malgré l'interdiction de se promener sans guide, nous débarquons en kayak pour tenter de voir les primates de plus près. En vain; par contre, il se passe à peine un quart d'heure avant que les autorités ne rappliquent à bord de leur canote en bois pour nous rappeller à l'ordre sous couvert de sécurité: les dragons, qui sont 1300 environ sur toute l'île, sont des animaux très dangereux (nous pensons qu'ils protègent aussi leur job, car il est rare de rencontrer un dragon en pleine nature. De retour à bord, le coucher de soleil ramène à la plage la colonie de macaques; nous les observons aux jumelles. L'endroit est absolument magnifique, et nous y sommes seuls. La brise thermique s'est assoupie; la nuit s'annonce douce.

Nous ferons encore deux belles escales, sur Komodo, cette fois. Là, peu ou pas de ballade à terre, mais de belles plongées au milieu de massifs coralliens exceptionnels et un peu de calme avant de poursuivre notre route ouest vers Sumbawa