Mardi1er Mai; que de gris! depuis que nous avons quitté Cairns, le ciel est repassé en mode noir et blanc. Pour autant, une bonne brise de sud-est nous permet de faire route confortablement, ce qui est bien appréciable. Arrivés hier en début d'après-midi à Port Douglas, nous avons passé la nuit en plein coeur de la rivière à crocos, sans toujours en voir la queue d'un. Tout le nord de l'Australie est peuplé de ces imposants crocodiles d'estuaires qui peuvent atteindre huit mètres de long. Les risques d'attaques sont réels, mais celle-ci sont moins nombreuses que les panneaux de mise en garde qui jalonnent tous les endroits où ils ont leurs habitudes. Cette courte escale nous permet d'envoyer à notre agent à Djakarta les trois cent dollars requis pour obtenir un permis de croisière en Indonésie.

Ce matin, levés avant le jour, nous avons quitté notre délicieux hâvre pour cingler vers Cooktown, 65 milles au nord. La grande barrière de corail est plus proche du littoral par ici; d'une part, ça procure un peu de confort car la houle du large n'agite pas le plan d'eau, mais de l'autre, ça nous oblige à flirter avec les cargos dont le rail de navigation occupe presque toute la largeur disponible par endroits. Le vent se renforce graduellement en cours de journée, et c'est dans des rafales de plus de trente noeuds que nous mouillons l'ancre dans Endeavour river entre les bancs de sable; bien aise d'être arrivés.

Mercredi 2 Mai; visite de la cité de Cooktown, le temps qu'Eole retrouve la télécommande de son ventilo pour diminuer un peu le volume....... Une statue de bronze commémore l'atterissage du capitaine Cook, venu en 1770 réparer son canote, l'"Endeavour", suite à des caresses trop intimes entre la barrière de corail et sa quille. Cette petite cité qui n'est pas sans attrait semble poursuivre son inexorable déclin. Après un spectaculaire essor pour cause de ruée vers l'or, c'est maintenant une ville-musée, presque entièrement tournée vers son passé; dans la rue principale, les édifices centenaires sont maintenus religieusement, abritant expositions, galerie d'art, ou rien du tout.....on y rencontre divers objets commémoratifs, et,.....un improbable "bateau musical" particulièrement original et ludique: fabriqué à base de polyéthylène agricole de récupération, au prix de plusieurs mois de travail de quatre artistes locaux, tout un chacun peut venir y taquiner la muse en frappant avec des petits maillets de caoutchouc les tuyaux, planchettes de bois, et plaques d'aluminium de différentes longueurs qui génèrent ainsi des sons accordés ( j'ai réussi à faire "au clair de la lune" presque du premier coup!)

Jeudi 3 Mai; dehors, il souffle encore un solide alizé de 25 noeuds, mais bon, on ne va pas prendre racine ici non plus.....appareillage à 8 heures, direction Cap Flattery, 35 milles au nord, sous génois (arisé....) seul. 13h30, mission accomplie: nous sommes mouillés dans 4 mètres d'eau, sur fond de sable; l'idéal! Malou prépare un bon petit repas.....suivi par un petit massage de remerciement....puis....carré blanc! Et voici l'annexe à l'eau pour une petite marche sur le rivage; ça fait pas trop "coin à croco" comme ambiance, alors on y va. Par contre, c'est indéniablement un "coin à sable" si on en juge par l'importance des installations que nous avons rencontré sur la côte, en venant; en particulier cet étonnant terminal de chargement situé sur la côte au vent, qui s'avance dans la mer pour accueillir les cargos et leur remplir le ventre de petits grains de silice.

Vendredi 4 Mai, et toujours 25 nds d'alizé; nous conservons l'option "génois seul"; ça donne déjà 7 nds, c'est bien suffisant, et quel confort! Le paysage a changé depuis Cooktown; les montagnes verdoyantes sont passées en arrière plan, et d'interminables dunes de sable plus ou moins convertes de végétation forment le littoral, ligne sombre agrémentée de tâches claires. Journée de navigation sereine: Malou trie ses photos sur son pécé; je surveille la route en jouant de l'accordéon; elle se fait une petite leçon d'anglais, je lie quelques lignes d'Alphone Allais.....et Catafjord déroule joliment son sillage chantilly sur champ de moutons liquides ( spécial comme poésie, non?. Les commentaires sont les bienvenus; pensez à joindre un timbre pour la réponse). Tout va bien, et nous décidons de prolonger l'étape jusqu'au Cap Melville, avec l'objectif d'y parvenir vers 17h.....et c'est ce qui se passe. Sauf que le mouillage que nous y trouvons est bien peu engageant, car très ventilé! Le prochain mouillage envisageable est à plus de douze milles; qu'à celà ne tienne, voiles plus moteurs, nous y filons à une dizaine de noeuds, pour mouiller l'ancre sous le vent de l'île Flinders, juste à la tombée de la nuit! La lune a allumé sa veilleuse; on est bien.

Samedi 5 Mai; nouvelle navigation quasi-lacustre; le vent est moins fort, la grand-voile est de sortie. Ainsi, c'est la minuscule île Morris qui nous offre son abri pour ce soir. Un autre cata a fait le même choix; nous nous saluons de la main. Etrange impression d'être posé derrière une aussi modeste langue de sable, avec la mer tout autour. Rien ne freine le vent, et le canote tire fort sur la patte d'oie qui nous relie au fond de l'eau par cette fantastique ancre Rocna ( que nous avons depuis Nouméa). Après l'incontournable tour de l'île à pied, qui est un des plaisirs favoris de Malou, le coucher de soleil embrase le ciel en une pure féerie; ça tombe bien, demain c'est Dimanche, jour féerié....nous avons appris un truc captivant en visionnant le DVD acheté à Cairns concernant la grande barrière de corail; figurez vous que certaines pieuvres sont dotées de la capacité à adopter de nombreuses physionomies différentes en passant de l'une à l'autre quasi instantanément; par contre, j'ai l'impression qu'elles ne sont pas là tout le temps.....sinon, à quoi ça servirait de se procurer les horaires d'octopus?...

Dimanche 6 Mai, et toujours de la navigation peinarde; soleil, vent, la mer bien sage,.... direction le cap York. La barrière de corail est toute proche sur tribord, mais on ne la voit pas car elle affleure seulement; de l'autre coté, la côte est redevenue vallonnée et couverte de végétation. Arrivé au Cap Direction, virage à gauche pour aller goûter la quiétude de l'estuaire de Lokhart river, en compagnie des crocos, toujours

Lundi 17 Mai; la nuit fut douce; totalement exempte de croco, (toujours pas vu la queue d'un!). Le ciel est un peu couvert, mais l'alizé souffle gentiment; sous grand voile arisée, nous slalomons entre les reefs pour éviter de rester dans le rail des cargos; en plus, ça raccourcit un peu le trajet. Et puis, cerise sur le bateau, un beau thazar de 1m10, 8 kilos vient enfin récompenser notre opiniatreté pécheresse! premier poisson comestible que nous prenons depuis notre arrivée en Australie; on ne pourra pas dire que nous avons dévasté la ressource......

Notre hâvre du jour s'appelle Margaret bay; pour y parvenir, nous traversons les délicieuses Home Islands, pas équipés, hélas , en mouillage convenable, mais, on s'en fout puisque Maragaret bay, c'est super! la preuve, deux catas y sont déjà (dont celui d'avant-hier "Vahia con dios".

Mardi 8 Mai; la nuit enveloppe Catafjord et son équipage dans l'étrange mouillage d'Escape river. Nous y sommes seul. Il a fallu éviter soigneusement les nombreux radeaux à huitres, propriétés de la ferme perlière voisinne, qui jalonnent l'estuaire avant de profiter du calme et de la sécurité du lieu. Verrons-nous enfin un croco? je leur joue de l'accordéon à la tombée de la nuit; je ne parle pas de les charmer, mais, juste par curiosité.....aucun résultat! ça doit pas être tellement mélomane un croco.....ou alors c'est ma musique.......possible.

Mercredi 9 Mai; l'instant est d'importance. Tournant le regard vers babord, qui se trouve fréquemment être à gauche sur un canote, il nous est donné de contempler l'extrémité nord de l'Australie, ainsi que l'horizon qui la jouxte, lequel est fait d'Océan Indien, et non plus de ce Pacifique qui nous sustente ( attention à l'ortographe de ce mot....) depuis presque deux ans et demi. Nous poursuivons un peu notre route vers le nord afin de faire une dernière escale Pacifique à l'île "mount Adolphus". Derrière le Cap York, les Thirsday island laissent apparaître leurs masses sombres, invitation à la croisière.....que nous allons cependant décliner pour cause de planning ( ceci dit, à nos âges, comment éviter de décliner?....)

Nous sommes seuls dans Blackwood bay, pour profiter de l'eau turquoise au bout du monde. Le platier qui nous sépare de la plage est truffé d'huitres grandes comme la main. Dommage que nous ne soyons pas amateurs. Pas de chemin pour pénétrer à l'intérieur de l'île; la promenade sera brève. Malou trouve de superbes clous et rivets de cuivre, vestiges d'un canote qui a certainement terminé sa vie sur cette grève ( le cauchemar du syndicaliste....).

De retour à bord, il reste assez de temps pour que je m'affaire à "inventer" un nouveau système de tangonnage du génois; ah, c'est vrai; j'ai omis de vous dire que l'"autre" a encore consenti.....je dois revoir ma copie.

18h30: premier coucher de soleil sur l'océan Indien ( c'est la Mer d'Arafura, en fait)