Dimanche 1er Avril; déjà trois jours que nous avons élu domicile sur les eaux de la Burnett River, au lieu dit "Port Bundaberg", à un jet de bière du village de Burnett Heads, et nous avons tout de suite adopté notre petite routine de vie....travaux divers le matin, puis débarquement des vélos sur la mini-plage blottie entre deux champs de canne à sucre pour la ballade de l'après-midi, laquelle comprend en général un crochet par l'épicerie locale. Une famille de kangourous nous observe au passage, comme font en France les vaches avec les trains. La saison des pluies ayant à peu près achevée sa grande oeuvre inondatoire annuelle, nous avons droit au soleil quasimment tous les jours et ça, c'est sympa. Burnett Head est depuis longtemps équipée de ce compagnon de route du marin dont la fonction est d'humaniser un peu les nuits sans lune: un phare. Le modèle en service actuellement est moderne, efficace et un peu laid; cependant, nos amis Aussies, avec leur passé historique plutôt étriqué, se font un devoir de conserver un maximum d'élément de leur patrimoine, et c'est pourquoi l'ancien phare exagonal en bois ( sauf les optiques qui sont en verre, je le précise pour mon ami Xave......(dit Xave le grâve)), a été réhabilité et placé à l'orée du parc de détente municipal bien propret: allées en béton, pelouse tondue et bancs publics même pas cassés.

Mardi 3 Avril; enfin une visite! une voisine de bateau, en escale, comme nous, s'approche pour faire connaissance, par quelques vigoureux coups de pédales, à bord de son Hobie "mirage". Angie et son mari Allan, tous deux Australiens, naviguent la moitié de l'année à bord de leur robuste "Honeywind", un ketch en ferro-ciment de 55 pieds, agé de 34 ans et pourvu d'un mât......en acier! l'autre moitié du temps, ils habitent une maison dans le sud de Cairns, et sont également, en route vers le Nord après avoir passé la saison cyclonique à l'abri. Plaisanciers de fraiche date (3 ans, je crois), ils nous prennent comme "maitre à penser" et nous bombardent de questions techniques....

Jeudi 4 Avril, 10 heures; mer belle, grand soleil, ciel bleu, quelques petits cumulus à la côte. Nous rattrapons doucement "Honeywind", parti avant le lever du jour. La brise étant légère et longue la route, Monsieur Yanmar babord est de service. Si un petit thermique s'en mèle, on pourra peut-être le relever de ses fonctions, cependant, il reste des milles à parcourir avant l'escale de ce soir, à Pancake's creek, et il faut tenit la moyenne pour arriver avant la nuit.

18 heures; super! Eole a assuré, et nous arrivons sous voiles au moment où le soleil se vautre derrière la colline. Plouf! fait l'ancre en filant vers le fond; gling, gling font les glaçons sur le bord de mon verre.

Vendredi 6; "Honeywind" est encore parti avant nous; nous leur emboitons le sillage une demi-heure plus tard, cap au Nord-nord-ouest. La route nous fait traverser deux "champs de cargos"; c'est ansi que nous avons surnommé ces énormes aires où sont mouillés, bien rangés comme au parking, des dizaines de cargos et tankers en attente de je-ne-sais-pas-quoi. Bien qu'à l'arrêt, ces monstres métalliques demeurent impressionants et nous ne pouvons nous empêcher de les croiser à distance raisonnnable. Devisant sur ce sujet, Malou énonce le dicton du jour: "qui n'a jamais froid aux yeux, risque d'avoir un jour chaud au Q"; NB: pour les maitresses d'école intéressées à faire disserter, voire simplement réfléchir, leurs disciples sur ce thème passionnant, nous pouvons fournir, en aparté et en français, des explications techniques par e-mail avec un timbre pour la réponse merci.....

L'après-midi s'avance, et nous, pareil; aussi, décision est prise de nous arrêter pour la nuit dans l'anse Nord de Hummocky Island, située sur notre trajet; nous en informons par VHF Angie et Allan qui se dandinnent, deux milles derrière nous, sous génois tangonnés. "On y va aussi!" répondent-ils. De fait, alors que la lune exhibe à l'instant sa face rieuse derrière la montagne, les voilà qui se pointent et mouillent à coté de nous; et la nuit tombe. Hélas, à la faveur du changement de marée et de la renverse de courant consécutive, leur maison flottante devient aussi roulante et se lance dans une lambada frénétique, la tête du mât semblant vouloir écrire une infinité de "8" sur la voûte céleste......"too much rolly!", qu'y disent....et les voilà affairés à remonter leur mouillage nuitemment, voguant bientôt vers leur prochaine escale, vingt milles dans le nord. Nous restons; mais c'est vrai que ça chahute un peu....

Samedi 7 Avril: nous avons dormi d'un sommeil de coktail...... comme dans un shaker! aussi ça ne traine pas avant d'appareiller; vent arrière, grand voile haute et génois "en ciseaux", maintenu en place par ce brave bambou renforcé UD verre qui se prend toujours pour un tangon. Great Keppel Island nous accueille dans cette somptueuse baie, relativement abritée de la houle du large et largement pourvue en eaux claires et sable blond; magnifique!

Mise à l'eau du kayak et nous partons beacher pour une randonnée pédestre de toute l'après-midi, avec retour au soleil couchant; Malou est ravie! sa jambe est quasimment guérie.

Dimanche 8 Avril; nous attendons un couple d'amis, joints par téléphone, qui sont en mer et font route en ce moment pour nous rejoindre. Malou leur prépare un bon repas cependant que je guette l'apparition de leur silhouette caractéristique (chacun sa tâche.....). Les voilà: un ketch de marque Amel répondant au patronyme original de "Badinguet". Attention: ici, chez les anglophones, il faut prendre garde à bien insister sur le thé, bien sûr, mais aussi sur le "t"; je veux dire sur le "t" ultime de "Badinguet"; jusqu'à oser un méridional "Badinguette"......car ce nom, au demeurant fort joli, revêt une signification particulière lorqu'il est envisagé sous un jour Albionesque.....suivez moi ( mais pas de trop près quand même....); d'un point de vue phonétique tout autant qu'Anglosaxon, (disons "anglosaxophone", alors....), qu'oyons nous? ben ouais....."bad and gay".....ce qui signifie quèquechose.....désolé......Consulté sur le sujet, mon ami Nicolas, légèrement désappointé accepterait bien d'assumer le coté "bad"....mais, littéralement "vilain pédé"....ça, ça lui troue le curriculum vitaë......bref, nous sommes vachement contents de nous retrouver, et l'après-midi se passe en palabres (alors qu'on était invités à une "party" sur la plage avec les Australiens du voisinnage).

Lundi 9 au matin; dodelinant mollement sur une mer chaotique, Catafjord se laisse inexorablement distancer, sous grand voile et génois tangonné; le spi de Badinguet diminue sur l'horizon....heureusement, Pearl bay n'est plus très loin; nous y avons rendez-vous pour dîner. Tel que je connais mon pote Nicolas, ça ne doit pas le vexer d'être plus rapide que nous aujourd'hui.....

Mardi 10 Avril; la soirée fut excellente, en compagnie de Pascale et Nicolas, en dépit de ce sempiternel roulis rythmique dont Badinguette semble ne jamais se déparer....Les prévisions météos nous augurent des vents forts à venir; nous partons nous réfugier tout au fond de Island Head creek, Catafjord ouvrant la voie, cette fois. Mangrove tout autour de nous, eaux calmes, aucune houle, c'est l'abri idéal. On dit qu'il est aussi plein de crocodiles.....c'est pourquoi, après un petit coup de main à Nicolas pour l'aider à réparer son moteur hors-bord, Malou et moi partons tel des Indiana jaunes, à bord de notre discrète embarcation orange pour tenter au moins d'apercevoir un bout de museau de ces redoutables reptiles; je ne sais pas si c'est que notre vue a encore baissé ou quoi, à moins que nous ne les intimidions, toujours est-il que, là, maintenant, c'est marée basse, le soleil est tombé comme une bouse derrière la montagne, la nuit dispose ses tréteaux pour tendre son voile opaque (c'était dimanche dernier.....), et malgré toutes ces conditions propices enfin réunies on n'en voie toujours pas la queue d'un!.......par contre, question moustiques, là, ça donne grâve; nettement moins original.....je me demande si ça existe du répulsif à croco.....peut-être encore une géniale idée lucrative à creuser.....

Jeudi 12; le vent a bien soufflé, en effet. Un peu prisonniers au bout du monde, nous occupons nos journées en bricolages intérieurs, et.....loisirs. Les "Badinguettes" viennent dîner ce soir; demain, on s'approchera de la sortie, prêts à filer samedi matin au lever du jour pour une étape de 70 milles.

Dimanche 15 Avril, midi: sous grand-voile arisée et génois tout entier, Catafjord taille joyeusement sa route sur la mer blanchie par 25 noeuds de moutons. Derrière nous, Badinguette fait le métronome sous grand'voile et génois tangonné, et sa silhouette s'amenuise d'heure en heure. Nous encore avons dérapé les ancres de bonne heure ce matin, afin de couvrir une bonne distance avant la nuit; il faut bien compenser un peu les trois jours d'arrêt au stand de Hisland Head creek. Le vent reste vigoureux, et le ciel nous gratifie de temps en temps d'un bon grain noir et sa bourrasque associée.

Ce matin , nous avons encore eu droit à une cinglante manifestation des méfaits de l'envahissement dont nous sommes victimes par des produits importés de pays à bas coût de main d'oeuvre......; notre fameux bambou à la fibre de verre nous en a pondu une bonne: non seulement il persiste à se prendre pour un tangon, mais voilà qu'il s'imagine de surcroit être un tangon cassé que je dois impérativement réparer maintenant....sous peine, soit de n'en plus avoir, soit de devoir en acquérir un de provenance plus manufacturière disons. Mon pote Nicolas a explosé son gennak hier en le maintenant en l'air avec trop de vent, et voilà qu'aujourd'hui, c'est mon tour de me péter le bambou (comme disait le jeune marié....); pourquoi qu'on navigue pas pépère à six noeuds et comme ça on abime rien?????