vendredi 28 octobre: le bus nous a cueilli au centre d'Airlie et nous conduit maintenant vers Proserpine (de kangourou.....); nous allons voir à quoi ressemble une petite ville du Queensland. Le pays est bien plat par ici; pas étonnant que la signalisation insiste sur le caractère "inondable" de cette route bordée d'immense champs de canne à sucre. Au loin, deux gros tubes noirs crachent au ciel leurs volutes ouatées: c'est l'usine de raffinage qui transforme les tiges vertes qu'on voit dans la cambrousse en petits sacs blancs qu'on trouve au supermarché. Un réseau de voies ferrées sillonne les cultures, supportant les processions de wagonnets qui acheminent la matière première vers la cocotte-minute XXL. Les australiens ne manquent pas d'espace en général, et ça se traduit dans l'architecture de leurs villes, par des rues larges, bordées de constructions basses largement espacées. L'essentiel de l'agglomération de Proserpine (de koala....), est située de part et d'autre d'une rue principale au nom évocateur, "main street", long chapelet de commerces variés; parmi ceux-ci, l'incontournable "colour me crazy", bric-à-brac hétéroclite de jolis objets provenant du monde entier, et agencés avec un certain sens artistique. Les gens vivent dans une décontraction bonnasse ici: point de crissement de pneus, ni de "coups de klaxon" hystériques, non plus que de piétons se déplaçant au pas de charge où encore de deux-roues pétaradants; un genre de flegme britannique, plutôt appréciable.

samedi 29 octobre; le temps de prendre un bulletin météo et d'étudier la carte, nous démarrons notre périple vers le sud par petites étapes. Brefs échanges de civilités avec l'ami Jean-Marc; espérons qu'on se reverra....Dehors, c'est un petit courant favorable, mais 7 à 8 noeuds de vent dans le pif; route au moteur en direction de Lindeman Island. Navigation agréable sur mer plate, eaux turquoises à cause des petits fonds sablonneux, et côte vallonnée verdoyante en fond d'écran.....en face, pas d'horizon: les Whitsundays l'ont avalé.

dimanche 30 octobre; journée voile. Malgré la brise fort légère, Catafjord accroche les cinqs noeuds suffisants pour absorber les 24 milles qui nous séparent de Newry Island; un charmant mouillage nous y reçoit en tout début d'aprèm, suffisamment tôt pour envisager d'inclure une petite marche au programme de la journée. Le chemin est des plus agréables, avec sa moquette de feuilles mortes crissant sec sous les pieds, comme des billets de cinq cent euros neufs.....( faites le test: allez au distributeur le plus proche, et retirez-y une cinquantaine de billets de cinq cent euros; froissez-les, à deux mains si vous le voulez bien, et étalez-les au sol avant de les fouler aux pieds......vous verrez, c'est le même bruit! gaffe aux courants d'air quand même....). Une pancarte explique aux visiteurs que cet endroit est classé "parc naturel", et qu'on peut y rencontrer des dugongs. J'en ai aperçu deux fois aux Whitsunday mais de manière très fugitive; peut-être aurons-nous plus de chance cette fois....

mercredi 2 novembre; cette croisière "descente vers Brisbane" s'avère plutôt sympa, pour le moment; en étudiant bien les cartes et documents divers dont nous disposons, on arrive à trouver une succession d'abris corrects, atteignables après une honnête journée de navigation diurne. Par contre, un peu contrariant est le vent, souvent dans le pif, et le courant, un peu aussi....( mais ça dépend de la marée, donc ça change toutes les six heures); il est fréquent de devoir s'aider plusieurs heures au moteur pour parvenir au mouillage avant la tombée de la nuit. Puis elle vient; elle s'installe; nous dinons; et c'est alors seulement, au moment de la mise en place de la "salle de ciné" , qu'on commence à se douter si l'endroit est bien choisi et nous apportera une nuit sereine; les rares bateaux voisins, souvent pas plus de deux ou trois, ont allumés leurs feux de mouillage; Malou a choisi le film du soir, préparé une tisane, et quelques morceaux de chocolat.....; l'écran géant ( 21 pouces!.....) est connécté, la sono est réglée, les sièges "pulmann" sont en place, et l'éclairage tamisé a remplacé les spots "full sun"; la scéance va commencer.....il est 19h30.

samedi 5 novembre; Catafjord file bon train, au près sérré encore une fois, vers le Cap Capricorne qui marque la sortie de cette "bande tropicale", notre bassin de croisière favori. Sortie provisoire, pour quelques mois seulement....depuis que nous courrons vers le prochain arrêt technique de Catafjord programmé à Brisbane, nous profitons peu des escales pourtant charmantes qui agrémentent notre cabotage. Espérons qu'il n'en sera pas de même l'année prochaine, lorsque nous reprendrons la route dans l'autre sens pour, de nouveau, faire de l'ouest. Plusieurs raisons motivent notre relative précipitation: déjà, l'eau se prête moins bien qu'ailleurs à la baignade; et puis, de petits soucis techniques, avec l'accouplement de l'arbre d'hélice babord, les carènes sales, un peu de couture à prévoir sur l'artimon, etc.....tout ça nous donne envie d'arriver à Brisbane sans trop tarder. Aussi, nous croisons toujours ces nappes brunes-verdâtres peu ragoûtantes dont nous avons appris hier que ce n'est pas du tout une pollution d'hydrocarbure, mais une variété d'algues qui ne prolifèrent que quelques mois dans l'année.....Ces derniers jours, les conditions météo ne nous ravissent pas vraiment: en cours de journée ( disons les "heures ouvrables"....) le vent est plutôt léger, voire ridiculement faible vers midi; puis, en cours d'après-midi, quand la prochaine savoureuse escale est sortie de l'horizon et que se précise le palpitant moment de la découvrir et d'y chercher le meilleur endroit pour y planter la pioche en vue d'une bonne nuit de Chine, voilà t'y pas que le souffle céléste se revigore, jusqu'à atteindre la vingtaine de noeuds, et se maintient ainsi quelques heures, s'assoupissant à nouveau dans la nuit pour n'être plus au matin qu'une brise de fond de culotte. C'est pas un peu mal organisé ce truc? Ceci étant, naviguer à 5-6 nds sous le soleil, sur mer plate, même au moteur, ce n'est pas ce qu'il peut nous arriver de pire.....faut reconnaitre. Quand au mouillage de la nuit dernière, sous le vent de "Facing Island ", c'est pas pour me vanter, mais il n'avait aucun charme, quoique tout-à-fait sécurisant, ce qui n'est déjà pas mal, c'est vrai.

lundi 7 novembre; Burnet River nous rappelle un peu la Loire. Une fois doublé le terminal sucrier, avec ses immenses hangars et les monumentales installations techniques capables de charger un cargo entier en quelques heures, le fleuve offre une excellente zone de mouillage quasimment champêtre; c'est là que miss Rocna ( 55kilos d'acier, taille fine, hanches pleines....) va dormir cette nuit dans 4 mètres d'eau calme comme un étang. D'ailleurs, une bonne nuit de sommeil s'impose après ces 60 milles de navigation débutée à 5h ce matin. Il est 17h30; la mécanique vient de se taire; une cervoise est mise en perce et j'écris, dans le cockpit, aux dernières lueurs de l'astre solaire qui se glisse en ce moment dans ses draps de mangrove.....que peut-être demain matin je découvrirais que ce n'est pas de la mangrove, mais qu'est-ce qu'on s'en fout! En tous cas c'est pas des sapins de Noël, ça c'est sûr; et puis, on est gravement bien ici....et en plus, c'est presque l'heure de l'apéro.....

mercredi 9 novembre; la marina dite "Port Bundaberg" se situe en aval du terminal sucrier; nous nous y rendons en dinghy pour repérer les abords du ponton d'approvisionnement en carburant. Un magnifique trawler de 25 mètres, avec un look de superyacht attire notre attention. Deux personnes sont affairées à le rincer à l'eau douce; l'équipage sans doute.....Magie du voyage, Claire, quinquagénnaire avenante, interromp son jet d'eau et entame la conversation en français! Elle et son mari sont, en fait, les propriétaires de ce superbe canote, ancien bateau d'expédition dont ils ont managé le "refit", et avec lequel ils naviguent en couple, ce qui est fort rare sur une unité de cette taille. Depuis le début du voyage, c'est seulement la deuxième fois que nous croisons des gens qui mènent à deux un bateau plus grand que Catafjord, (et encore, ne naviguent-ils qu'en cabotage, dans une zone limitée). Claire est très volubile et guillerette, cependant que son ours serait d'un genre plus ombrageux....ils nous emmènent gentiment à la ville avec leur auto de location; notre entrevue sera de courte durée, et c'est dommage; peut-être qu'on les retrouvera plus loin.....L'objet de notre excursion du jour est la visite de l'usine qui produit du rhum à partir de la mélasse provenant de la raffinerie de sucre voisine ( l'Australie est un gros producteur de sucre). Je trouve cette visite très intéressante, et ce n'est pas parce que c'est du rhum.....la bibine qu'ici commettent les Aussies est loin d'être aussi gouleyante que le savoureux élixir qu'à mis au point là-bas notre bon Père Labat....si vous voyez ce que je veux dire. Cependant, independamment de cette aspect gustatif, l'usine "Bundaberg" est un bel outil industriel aux proportions peu fréquentes pour une distillerie de rhum ( ils vont même jusqu'à affirmer qu'ils sont les plus gros producteurs au monde! le kangourou a parfois l'égo plus gros que la poche.....); en particulier, le bassin dans lequel fermente la mélasse se présente comme une imposante fosse sceptique, disons de la taille d'une piscine préolympique, remplie d'un magma mijotant couleur....., comment vous dire?....mais je sens que je m'enlise....Bref, beaucoup de choses impressionnantes, jusqu'à ces colossaux foudres en chène cerclés d'acier qui stockent des milliers de litres de cet alcool dont au sujet duquel je dirais qu'il faut être Australien pour appeller ça du rhum, mais, bon, ce que j'en dis.....je ne suis pas un expert.

jeudi 10 novembre; c'est reparti; avec une jolie surprise en descendant la river: nos amis Pascal et Martine du cata "Steelband", perdus de vue depuis Tahiti, sont mouillés là pour quelques jours; on se dit qu'on se reverra à Brisbane sous peu; tant mieux! Sinon, dehors, la routine: pas de vent, moteurs, puis ça se lève vers 13h et on peut faire voile....jusqu'à cet endroit invraisemblable qui donne l'impression qu'on s'est gourré en analysant la carte.....l'ancre est au fond; on n'avance plus, mais ce n'est que de la mer partout autour.....avec juste un petit bout de terre, un modeste îlot, qui casse quand même un peu le clapot; en fait, nous sommes au milieu de haut-fonds sablonneux très peu immergés, parcourus de courants de marée, qui constituent un abri à l'efficacité moyenne....

vendredi 11 novembre; c'est pas un jour férié ça? un genre de fête religieuse pour commémorer quand le petit Jésus a obtenu un César à Alésia ou un truc comme ça?....bon, ce n'est pas encore ce matin qu'on va faire route à la voile; déjà, le vent est faible, et puis l'étape du jour prévoit de se faufiler entre les bancs de sable à l'aide de la carte qui comporte plusieurs erreurs et d'un balisage incomplet.....donc, ouvrir l'oeil! pas question de jouer de l'accordéon pendant la route aujourd'hui; surtout avec le moteur tribord qui bouffe de l'eau et l'autre dont le tourteau d'accouplement est cassé, que je vais de voir le remplacer à Brisbane ( d'ailleurs, c'est bizarre ce vocabulaire; c'est plutôt les tourtereaux que j'aurais vu s'accoupler.....non?). Avec tout ce que nous envisageons d'y dépenser, Brisbane s'annonce comme une escale brise-banque....14h; nous voici de nouveau mouillés dans un endroit singulier; c'est comme un estuaire de fleuve; un grand banc de sable, découvert car c'est basse mer, définit un abri acceptable par ces légères brises d'Est. De l'autre coté du bras de mer, c'est "Fraser Island", la plus grande île de sable du monde ( que c'est écrit dans le guide.....); un bac rustique fait ses navettes sans dicontinuer d'une berge à l'autre, avec son chargement de véhicules variés. Pas de chichi ici: c'est directement la route, je dirais même la piste, qui se jette dans l'eau; aucune infrastucture, aucun bâtiment d'aucune sorte, pas de quai, pas de parking, rien, et c'est pareil de l'autre coté. Les Aussies sont des gens pragmatiques qui se soucient d'abord d'éfficacité et ne s'encombrent pas trop de fioritures.

samedi 12 novembre; départ matinal; dès 5h30 nous cheminons vers la sortie de la très longue passe en luttant contre 3 nds de courant contraire; dehors, peu de vent. Quel dommage que nous n'ayons pas de gennaker; c'est une voile qui servirait bien souvent pourtant. Arrivée vers 16h. L'escale de Mooloolaba est encore différente; un court et étroit chenal mène à un dédale d'habitations basses, chacune pourvue d'un catway privé accessible par une passerelle du même métal....un peu genre Port Camargue, sauf qu'ici, point d'immeuble disgracieux; ça ne nous semble pas désagréable à vivre.....les plus cossues sont entourées de jardins avec piscine en terrasse, et le bateau amarré devant.....les pôv gens! C'est au fin fond de cette cité lacustre que nous dénicherons un emplacement ad hoc pour poser la pelle; il faudra cependant s'y reprendre à trois fois avant de trouver le bon compromis.

D'aucun prennent volontiers les Australiens pour des "soldats du pape" (comme on disait autrefois dans la marine à voile); j'en ignorais la raison jusqu'à ce qu'on me donne une piste de réflexion que je vous livre: figurez-vous que ces gens, les "Aussies", comme toutes les autres peuplades évoluées qui communiquent avec leurs semblables par le language parlé, affectionnent les diminitifs et autres contractions (surtout chez les femmes enceintes); ainsi, nous autres, les Gogaulois, nous disons "la clim" pour désigner ces machines infernales qui permettent d'abaisser la température de l'intérieur d'un bateau ou d'une automobile, alors même qu'il suffirait d'aller ailleurs, là où il fait plus frais, genre Tchernobyl par exemple,.... mais ce n'est pas le sujet.....hors donc, nos amis les Australipèdes font pareil; sauf que chez eux, ça se dit "air conditionning", qu'ils se contentent d'appeller "air cond", pour économiser 3 syllabes.......quand vous leur demandez s'ils sont équipés de climatisation, ils répondent toujours: "oui, nous avons l'air cond; nous aimons bien l'air cond; nous avons l'air cond dans la maison, l'air cond dans la voiture, l'air cond dans le bateau, partout nous avons l'air cond.....on aime bien ça nous l'air cond!".....alors, comment s'étonner?

lundi 14 novembre; dernière escale tranquille avant d'affronter la trépidence citadine et les travaux divers qui nous attendent à Brisbane; nous y serons demain si tout va bien. Ancrés dans la rivière de Bongarre, 18 milles au Nord, nous profitons de ce mouillage sûr et confortable, malgré le vent qui souffle, fort maintenant qu'on n'en a plus besoin.....pour mettre en ordre les petites choses que nous avons un peu sacrifiées pendant le trajet depuis Airlie. Ce matin, 2 gars sont venus à notre rencontre avec leur dinghy, pour discuter catamaran et voyage; sympas. Ils nous ont fait cadeau d'un leurre qui est censé bien marcher par ici, pas comme les nôtres avec lesquels nous n'avons pas pris un poisson en deux semaines.....