mercredi 29 septembre; nous voilà repartis en croisière depuis ce matin. Rangé les outils, fait un peu d'ordre dans le canote, et, après un passage au quai de gas-oil, la passe Taina est franchie direction Moorea. La vie est chère ici à Tahiti, mais, au moins, le navigateur de passage peut-il remplir ses réservoirs avec du carburant détaxé; c'est toujours ça de sauvé. Pas de brise en partant sous le vent de Tahiti, mais, après une heure au moteur, ça rentre musclé: 28 à 30 noeuds soutenus. Sous génois seul, nous filons 9 noeuds, et l'excellent mouillage d'Opunohu nous accueille pour la seconde fois, en cette fin de matinée. L'après-midi sera consacrée à me faire raccourcir les tifs par ma coiffeuse préférée, et, à écrire quelques mails, car la wifi fonctionne très bien icite.

Que je vous relate à présent un nouvel épisode de notre feuilleton "mon guindeau, sa vie, son oeuvre". Les suffisamment assidus se souviendront que nous avons remplacé le guindeau d'origine par un modèle beaucoup musclé, en Mai 2009, à Saint Martin- Caraïbes. Cette imposante machine a été pour nous une grande source de satisfaction pendant environ le temps nécessaire à un individu femelle de race humaine pour transformer quelques gouttes d'eau de vaisselle en un parfait crétin capable d'emmerder son monde pendant presque un siècle, quelle misère.....mais je m'égare.....disons 9 mois, pas un de plus. Au bout de ce laps de temps, la mécanique rutilante rutilait vachement moins, et poussait même des couinnements de marcassin en train de se faire sodomiser par un gros véra, si c'est pas malheureux d'être comme ça. Bref, je me suis senti obligé, il y a de ça 5 mois, de démonter le barbotin de ce fabuleux guindeau, et, le spectacle hideux qui s'est offert à mes yeux ébahis était de nature à rendre morose n'importe quel boute-en-train possédant quelques rudiments de mécanique. La corrosion avait transformé toute l'embase de la chose en un monceau bien glauque à base à base de charbon blanc, de graisse rance, de rouille issue du pauvre roulement à présent ruiné, et de sel.....afin de récupérer un minimum d'éfficacité, j'avais alors confectionné, avec des couvercles de boites en plastiques, une cage de roulement, et un chapeau rempli de graisse, de manière à donner une survie plus ou moins vigoureuse au bazar. Puis, sur les conseils de Malou, prenant ma plus belle plume et le clavier de mon ordi, je rédigeais, avec le tact dont j'ai encore quelques échantillons en magasin, une belle lettre que pépette transmettait immédiatement au fournisseur, pour lui narrer la mésaventure, et, accessoirement, lui quémander quelque dédommagement, on ne sait jamais, c'est pas interdit d'être optimiste......Bien nous en prit, car, d'abord, ça m'a permis de renouer le contact avec un ancien pote de chez Jeanneau, du temps où nous mettions en place, avec mon ami " Prémo", ce qui allait devenir les bases de Lagoon ( Les Herbiers- 1987- atelier J7 ); cet ancien collègue est aujourd'hui en charge du SAV chez Kent Marine. Et ensuite, nous venons de recevoir hier un guindeau tout neuf, en remplacement de l'autre au vieillissement prématuré. Le croustillant de l'affaire, c'est qu'à peine receptionnée la nouvelle pièce, je me suis rué dessus pour l'expertiser, et tenter d'identifier clairement l'origine du trouble. J'y suis parvenu. Hélas.....j'ai constaté, balançant entre déception et jubilation,......que le défaut subsistait; que dis-je "il subsistait"; il faisait mieux: il perdurait, il exhultait, il faisait carrière! il allait s'épanouir! bref, si, d'aventure, j'étais assez sot pour monter ce guindeau neuf tel quel, le problème réapparatrait sans aucun doute aussi rapidement que la première fois ( soit le temps de gestation normal d'un abruti si vous vous souvenez bien du début....attention, ne soyons pas pessimiste, c'est aussi le temps normal de gestation d'un Mozart ou des Beattles....). Reprenant mon clavier, je fais à mon copain de chez Kent un compte rendu succint afin qu'il "aide" les braves ritals de chez "Quick" ( c'est la marque de l'appareil) à franciser utilement leur belle mécanique. Pour résumer, je dirais que l'ingénieur qui a conçu l'embase a bien prévu des orifices d'écoulement afin que l'eau de mer ne stagne pas entre l'alu de l'embase et l'inox de son carter, ce qui cause immanquablement un couple éléctrolythique fort préjudiciable à la partie "alu", mais, par contre, ni le joint d'embase ni le plan de perçage du pont fourni avec le bourrier ne prennent en compte ces orifices qui sont donc systématiquement obturés à chaque montage de guindeau! que fait donc le service méthode chez "Quick"? Ayant eu le bonheur, au cours de ma carrière, de cotoyer quelques responsables méthodes nettement plus à l'aise avec leurs tableaux "excell" que sur le pont des bateaux qu'ils été censés faire fabriquer, je connais trop bien le processus qui mène à ce genre d'hérésie, et c'est pourquoi je me permet de le dénoncer; en bon amateur de bateaux, ça m'attriste au plus haut point de voir ça....Ainsi soit-il!

Jeudi 30 Septembre; les prévisions météo d'hier ont annoncé 20 à 25 noeuds de vent. Il est 6 heures du matin; nous sommes tous les deux réveillés, avec l'envie d'y aller. Alors, on dérape! et le café est avalé debout, à la timonerie, en franchissant la passe. Une baleine, entrée récemment à l'intérieur du lagon, exhibe son gros dos noir à coté du canote, en un salut quelque peu goguenard. Comme hier, c'est calme sous le vent de l'île, mais la houle laisse entrevoir que ça va brasser dans pas longtemps. On envoie la grand-voile à 2 ris. Les bout's sont à peine rangés que le vent siffle déjà dans le gréement à 25 noeuds établis qui deviennent rapidement trente! ça, c'est entre les grains......lesquels ébouriffent à plus de quarante noeuds; la mer est celle qui va avec; Pacifique, mais sans plus.......Reprise un peu tonique donc. Comme toujours en conditions râpeuses, la boite de raviolis du midi, mangée sur les genoux dans la timonerie, parait un festin de roi. Il fait plutôt tiède; polaires et cirés sont de sortie. Petite frayeur lorsque l'enrouleur de génois se bloque dans un grain hargneux; surtout ne pas forcer avec le winch éléctrique; il est si puissant qu'il riquerait s'endommager l'enrouleur. En fait, rien de grave; la drisse de spi, imprudemment frappée sur la martingale, s'est prise dans la toile du gégène lors de l'enroulement, et, avec mes lunettes envahies de gouttes de pluie, je n'ai rien vu. Il aura suffit de faire la manoeuvre en sens inverse, sitôt la bourrasque passée, pour que tout rentre dans l'ordre. Il n'empêche, avec ce canote un petit peu énorme, il faut tout anticiper car les conneries peuvent coûter cher, et se paient comptant ( mais pas très content....). Le sale temps ne nous lâchera pas de la journée, et nous ne pourrons nous relâcher qu'à la tombée de la nuit, après avoir mouillé 60 mètres de chaine devant le village de Fare, sur l'île de Huahine. Par contre, savourer une petite soirée peinarde tous les deux dans la quiétude du carré pendant que dehors, ça siffle dans les zhaubans, et que le vent donne à l'eau du ciel la délicatesse d'un jet de Karcher, ça c'est pas dégueu!

Vendredi 1er Octobre; mission accomplie! nous avions accépté, à la demande de notre amie Brigitte, d'embarquer à Papeete un four éléctrique en vue de le livrer à une de ses copine qui n'en trouvait pas sur Huahine; à 10 heures, à peine terminée la série de massages que j'ai recommencé à prodiguer à Malou depuis aujourd'hui même, Gilles et Christine viennent à bord prendre livraison du SEB tout neuf dans son carton jamais ouvert. Et voilà une corde de plus à notre arquebuse: livraison à domicile dans les îles de la société.....c'est pas une belle vocation ça?

Dimanche 3 Octobre; le vilain temps semble vouloir s'éloigner un peu; le vent est encore soutenu, et le ciel lourd de menaces, mais c'est praticable pour une balade en vélo, à la découverte de la partie nord de Huahine. Un petit expresso "chez Guinette" pour commencer, en compagnie des tenanciers les sympathiques Olivier et Laurence, pour quelques conseils de destinations et une carte. Pédalage agréable, sur une route peu fréquentée qui suit la côte, bordée de la toujours luxuriante végétation Polynésienne, bougainvillés, hibiscus, oiseaux de paradis, fleurs de tiare et des tas d'autres trucs qui poussent et qui sont très jolis, mais je ne sais pas dire ce que c'est. Plusieurs grands maräe occasionnent des haltes instructivo-reposantes comme celui de Maëva dont le panneau est particulièrement captivant. Quelques kilomètres plus loin, au bord de la route, est la galerie de peinture de Mélanie. Nous y bavardons longuement avec cette artiste, américaine d'origine, qui vit ici depuis onze annnées en compagnie d'un gars du terroir, lequel lui sert assez souvent de modèle ( mais il ne fait pas que ça....); son site: polynesiepainting.com. Nous aimons bien ce qu'elle fait. Vers 13 heures, c'est reparti direction la côte Est avec pour objectif de rendre visite aux "anguilles sacrées", habitant la rivière qui traverse le village de Faie, des bestioles qui dépassent les 2 mètres ( de long, pas de diamètre.....); en fait, partis au mauvais endroit, nous n'en verrons que 2, et elles n'ont pas l'air si "sacrées" que ça; en tous cas, nous on n'a rien remarqué. En plus, il pleut et le vent redouble de vigueur, allez, on s'casse! De retour au Catafjord vers 16h30, bien trempés par un nième grain, avec juste une tartine de nutella dans le bide depuis ce matin, le goûter est bien apprécié. Un truc assez particulier ici, il ne semble pas y avoir de cimetière commun; les gens enterrent leurs défunts juste à coté de leur barraque, ou devant, ou sur le terrain en face, de l'autre coté de la route, au pied de la montagne. Il y a souvent un petit enclos, quelquefois même couvert par un toit, abritant une ou deux tombes. Certaines sont carrelées; on dirait des pédiluves à l'envers....

Mardi 5 Octobre; jour de mes 57 automnes. Lever à 5 heures du matin, à cause d'une fenêtre météo qui va nous permettre de faire le trajet Huahine/Moorea sur un seul bord avec un vent maniable; alors on y va! La mer est encore assez formée et ça remue pas mal, mais le trajet est bouclé à plus de huit noeuds, et, dès 17 heures, nous sommes tranquillement mouillés à l'abri dans la belle baie de Cook, au nord de Moorea. Pour couronner le tout, la ligne de pêche que j'ai grée hier donne un beau thon d'une dizaine de kilos une heure avant d'arriver; Malou s'emploie à le débiter et le mettre au froid pour nous procurer ainsi plusieurs semaines de repas. Et maintenant, place à la délicieuse sangria d'anniv. que ma petite à concoctée dès hier avec amour pour qu'on puisse trinquer consciencieusement à l'évènement du jour....

Mercredi 6 Octobre; un des plus réjouissant spectacle qui nous soit donné d'admirer dans les lagons polynésiens est constitué par le passage des pirogues à balancier. Qu'elles soient mues par 6 rameurs ou par une personne seule, ces embarcations ont une grâce, une élégance, une finesse qu'on ne se lasse pas d'admirer. Leur nage est rythmée par le mouvement synchronisé des bustes qui piochent l'eau en cadence, imprimant à l'embarcation une accélération perceptible à chaque coup de pagaie. Parfois, le barreur se désolidarise du mouvement général pour oeuvrer, utilisant sa pelle comme gouvernail, cependant qu'il conserve quand même le rythme général par le balancement du buste seul. Des cygnes! Les polynésiens sont durs au mal; ils ont un coté "bourrin" qui se manifeste de façon frappante lors de leurs navigations en pirogue, lorsque leurs instincts guerriers reprennent le dessus et les conduit à pousser l'effort jusqu'à la limite de l'épuisement. Et puis, leur caractère "ouverts" se manifeste également par la constitution d'équipages parfaitement disparates, comprenant, par exemple pour une "6", 2 athlètes, un gringalet, une ou deux matronnes de 80 kilos, et une ou deux élégantes jeunes sportives.....Quand aux va'a solitaires, ils remportent à mes yeux la palme de l'ésthétique; fins comme des flêches, leur coté gracile est contrebalancé par la force et l'énergie qui émane du rameur ( ou de la rameuse ) et les propulse à belle vitesse et sans sillage faisant corps avec le canote, concentré et efficace, comme un improbable animal mi-poisson mi-oiseau, mirobolant.....