samedi 10 Juillet; relever son ancre dans les atolls des Tuamotus s'avère souvent un opération laborieuse; c'est le cas ce matin. La chaine est passée sous les têtes de roches qui minent le fond, et il nous faut décrire des circonvolutions en tous sens avec le canote pour la dégager. Vers 8 heures, c'est chose faite, et nous quittons Rotoava sous un ciel menaçant, chargé de grains à plus de trente noeuds, dans un alizé bien vigoureux. La passe Garue nous offre un accès facile vers le large, et, le temps d'envoyer la grand'voile à 2 ris, Fakarava s'évanouit déjà dans le sillage. Quelques milles plus loin, passé l'abri du reef, une mer chaotique et bien formée par le vent fort de ces derniers jours nous ramène à la rude réalité maritime: on n'est plus dans un lagon! Le coté plaisant, c'est que, naviguant à 110° du vent, on va vite avec peu d'efforts; c'est juste un peu ambiance shaker à ce détail près que, le sahker, d'habitude, je le tiens à la main, mais je ne suis pas dedans.....bref, nous filons bon train toute la journée, et le vent ne donne des signes de mollissement qu'un peu avant la tombée de la nuit; nous nous décidons à envoyer l'artimon à 3 heures du matin, au changement de quart.

Aujourd'hui 11 Juillet, le soleil nous fait un clin d'oeil appuyé vers 8h30: éclipse totale, que nous saluons en larguant les 2 ris de la grand'voile.... Tahiti est devant nous et grossit rapidement, tapie sous son manteau de coton; grand moment pour des vagabonds au long cours: arriver à Tahiti! Ebouriffante arrivée sur Papeete; quelques heures après avoir renvoyée toute la toile, le vent monte à 25/30 noeuds. Pas envie de prendre un ris si près de l'arrivée, je réduis le génois de quelques tours pris au winch éléctrique ( trop fastoche ), et je barre à la main ; petites pointes de vitesse à 13/14 noeuds et la passe nord est là devant nous. A 15h30, la pioche est plantée à proximité de marina Taïna, en compagnie de quelques centaines d'autres canotes qui ont fait le même choix....n'importe, j'aime bien; je suis curieux comme un gamin au milieu de tous ces canotes; il y a ceux qu'on a déjà croisé plein de fois, mais on ne connait pas les gens; juste un petit signe amical en passant, puis il y a les copains qu'on retrouve après quelques semaines, quelques mois, ou quelques années, comme Margot et Frank, qui arrivent de leur escapade aux Gambiers; alors on prend le café ensemble, pour se raconter.

Lundi 12 Juillet; découverte de Papeete; un quart d'heure pour y aller. Après tout ce qu'on nous en a dit de négatif, c'est plutôt une bonne surprise. Ville de taille moyenne, ensoleillée, pas trop étouffante; en tous cas moins qu'une grande ville de métropole. Les formalités d'entrée sont rapidement expédiées. Ensuite, trainant dans les parages de la marina, comme qui dirait "pour voir des bateaux" ( ça faisait longtemps....), nous faisons la connaissance de Jean-Jacques qui fait du day-charter vers l'atoll de Tetiaroa. Il a deux bateaux: un "Crowther" récemment dématé, et l'ancien Jean Stalaven à Dominique Marsaudon....nous baratinons un moment ensemble.

Mardi, c'est "Jambo", le cata à moteurs de Laurent Bourgnon qui vient ici faire une escale/appro rapide; juste le temps de prendre un café à son bord, c'est trop bref pour tout ce qu'on a à se raconter; on ne s'est pas vu depuis plus de quinze ans; on dit qu'on se revoit plus longuement un de ces quatres. Steve et Helen sont là aussi, toujours aussi satisfaits de leur Lagoon 420 hybride; solution fantastique pour qui sait s'en servir, et en accepte les limites.

Mercredi 14 Juillet; debout à 7 heures pour embarquement à 8h30 dans le dinghy, direction Papeete (à 6 milles d'ici). C'est pour assister aux courses de double huit. Les pirogues polynésiennes sont traditionellement très étroites. La stabilité minime de ces coques est compensée par un petit flotteur maintenu par 2 traverses en bois. L'embarcation est propulsée par des pagaies actionnées alternativement à droite et à gauche. Pour les courses de double huit, on réunit 2 pirogues entre elles, constituant ainsi un catamaran à 16 pagayeurs capable de filer huit noeuds et plus: magnifique! en tous cas, c'est ce qu'on nous a dit; nous, on n'a rien vu... on s'est gaufré sur les horaires. Sur le chemin du retour, 2 sympathiques fétards déguisés en costumes bleus avec les képis traditionnels nous font signe de venir faire connaissance en dehors du chenal, comme qui dirait "sur le bas-coté"; très curieux, ils veulent tout savoir de nous: voir les papiers du bateau, où sont les brassières?, combien de chevaux le moteur?, voir mon permis, et toute cette sorte de choses.....je crains que nous ne les ayons beaucoup déçus, car rien de tout ce qu'ils demandent n'est à bord du Newmatic. Finalement, on continue notre balade chacun de son coté sans s'être dit des trucs pas courtois. Je trouve qu'ils ne se sont pas foulé le cortex avec le nom de leur bateau: "gendarmerie nationale".....pas très original. De retour au Cataf en fin de matinée, cependant que nous sirotons benoitement notre petit thé de réconfort, quisséty qui passe à coté, accompagné de sa charmante hotesse: Laurent Bourgnon. On les invite, et c'est parti la causette; une discussion intéressante en amenant une passionante, on se quitte au milieu de l'après-midi, car ils repartent pour Raiätéa embarquer de nouveaux clients. Toutes les courses de double huit sont finies.

Juillet c'est le mois du Heiva ici; un mois de festivités à caractère culturel et sportif, l'occasion de rencontres inter-îles pour entretenir et développer les activités traditionnelles: chants, danses, courses de pirogues, concours de grimper de cocotier avec les gars de sup-de-co (Ecole supérieure de cocotier, section grimpage), courses de porteurs de fruits, concours de vitesse à fendre et décortiquer les noix de coco avec d'autres mecs de sup de co ( ceux de la section fendage de noix), etc, etc....

Dimanche 18 Juillet: nous avons adopté un rythme de vie semi-polynésien qui concilie habilement farniente et labeur; exemple, la table du cockpit; elle servait régulièrment d'établi et portait les stygmates de quelques coups de scie sauteuse qui venaient parfaire sa misérable finition d'origine. Aujourd'hui, présentement, elle a subi son petit lifting et s'exhibe fièrement dans sa nouvelle livrée turquoise.

Ce dimanche matin, en plein élan bricolatoire, notre ami Laurent ( celui de Mandragore) nous invite à une petite plongée sur l'épave d'un hydravion, suivie de la dégustation du thon acheté le matin même à un péchou, et préparé à la tahitienne, avec riz et lait de coco.....ce serait malpoli de refuser; on continuera le taf demain; y a pas le feu au lagon....

mercredi 21 Juillet, 17h30: nous sommes affairés à préparer les toasts; c'est le volet mondain du séjour Tahitien; vazy à tartiner les rillettes de saumon, et préparer le bateau pour la réception de tout-à-l'heure; ranger les outils et faire disparaitre toute trace de bricolage avant l'arrivée des amis. La nuit drape le lagon de son paréo sombre lorsque retentit la petite musique naze du téléphone annonçant les premiers invités. Je file les chercher au ponton à dinghys; prudent, Marc a prévenu au téléphone "au cas où tu ne me reconnaitrais pas, je suis habillé avec un T-shirt noir". Lorqu'il se pointe sur le quai en compagnie de Laurence, je les reconnais tout de suite nonbstant les 22 années écoulées depuis notre dernière entrevue, à Fort-de-France, quand nous faisions du charter avec le "ville de saint Nazaire". Ils vivent depuis 17 ans à Tahiti à bord de leur fidèle "Rantanplan", sloop en acier construit de leurs mains à Nantes. Retour au Cataf pour accueillir Margot et Frank; ils ont laissé leurs 2 garçons chez la grand-mère qui vit à Tahiti; la compagnie de leur cousin français devrait logiquement les faire progresser dans l'utilisation de notre belle langue qu'ils ignorent superbement car élevés à Los Angelès. Encore un petit aller-retour en newmatic pour aller cueillir Marie-Jo et Loïc, les biologistes rencontrés à Fakarava, et l'équipe est au complet pour assécher la bassine de punch qui se les gèle dans le freezer depuis ce matin. Dommage, Laurent et Hélène ont été contraints de décliner l'invitation pour cause de baby-sitting chez des amis, mais Laurent a tout de même tenu à venir embrasser Malou pour ses 57 ans,....et puis, ça lui permet de s'envoyer un gobelet de mon élixir magique avant de retourner aux jérémiades des morveux de son copain. Sacré Laurent! son job, c'est "responsable des opérations portuaires" à la CGM. L'autre jour, un doigt pointé vers le port de commerce, il me balance tout fier: "tu vois la grande grue jaune là-bas; c'est avec celle-là que je bosse". Après quelques secondes de réflexion j'ai senti raisonnable de lui communiquer mon point de vue: "un type qui exploite des grues au port de commerce, j'appelle ça un maquereau...".

Jeudi matin: lever de bonne heure pour une excursion en montagne avec Loïc et Marie-jo, si le ciel est bien dégagé....hélas, il ne l'est pas, et c'est p'tit déj à 7 heures alors qu'on aurait volontiers dormi un peu plus longtemps; la bassine de punch est sèche depuis longtemps, et cependant, aucun pic-vert malicieux dans le crâne ce matin, grâce probablement au père Labat, le saint homme! il nous restait suffisamment de son fantastique rhum à 59° pour le punch d'hier. Le rhum de Marie-galante, c'est un produit qui mériterait d'être remboursé par la sécurité sociale...ou par la Caf, ou par le vatican, j'en sais rien moi; en tous cas, c'est un scandale que ça soye plus cher que le coca-cola; je tiens à le dire.

Vendredi 23 Juillet; la "soirée des lauréats" est l'évènement majeur qui cloture les fêtes du Heiva. Réunissant jusqu'à 180 exécutants sur la scène, c'est assurément un spectacle exceptionnel: les gracieuses vahinés virevoltent et illuminent la nuit de leurs éclatants sourires, au milieu d'une cour de jeunes hommes aux muscles luisants comme des statues de bronze qu'auraient été passées au mirror et polies vachement longtemps. Tous arborent des costumes splendides; souvent à base de végétaux (peut-être qu'ils les fument ensuite lors d'un prodigieux strip-tarpé.....je sais pas ). La musique qui les accompagne, et rythme leurs ballets, jaillit d'instruments traditionnels: ukulélés, flûtes en roseaux, tambours, nombreuses percussions à base de bambous, et voix humaines. Certains chants sont peu mélodieux, mais quand c'est des trucs traditionnels, on applaudit quand même, et c'est tout. Détail amusant, la société qui organise ces festivités porte le nom évocateur d'"Heivanui"...renversant, non?

Samedi 24 Juillet: la belle table de cockpit turquoise se planque de nouveau sous des films plastiques et une vieille nappe de façon à assumer de nouveau sa fonction d'établi; au programme des réjouissances , c'est l'agrandissement du toit de cockpit, et de l'abri de timonerie. On va dérouiller un peu les outils....la visite impromptue de Marie-Jo et Loïc, venus plonger en Zodiac au milieu des dauphins, donne l'occasion d'une belle récréation en milieu de matinée. Reprise du boulot. Quand le soleil se fait trop brûlant, on pique une petite tête dans l'eau cinq minutes, et hop, c'est reparti pour une heure ou deux. C'est du boulot tout ça, mais ce n'est tout de même pas la mine ( sauf quand j'écris: c'est la mine de crayon.....). A cinq heures, on va chercher le pain, et, sur le retour, apéro chez Frank et Margot.....pas la mine, je vous dit.

Dimanche 25 Juillet: tout est prêt pour le collage; la résine époxy est sur le point d'être dosée et mélangée quand un coup de fil interromp notre élan laborieux: c'est Hélène qui propose d'aller avec sa voiture assister à une représentation historique au Maraë de Paea. Nous ne le regretterons pas. La scène relate la visite d'une confrérie de Raïatéa venue en pirogue pour honorer le grand chef de Tahiti par des présents, des chants de des danses. La cérémonie débute par l'entrée solennelle du "Arii nui" (vachement beau avec des plumes rouges et tout), accompagné de sa cour. S'ensuit la dépose des offrandes de nourriture; y succèdent des démonstrations scéniques mettant en valeur l'habileté et la force des Arioi de Raïatéa. C'est une heure et demi d'un spectacle magnifique, en pleine nature, sur les lieux même où se déroulaient ce genre de scènes il y a quelques siècles.

Lundi 26 Juillet; les vélos sont enfourchés de bonne heure pour aller écumer les zones industrielles en quête des matériaux nécessaires à l'avancement de nos GTE ( grands travaux d'été ). Retour en cata, en fin de journée, à bord du "Belize" des copains Pascal et Martine, rencontrés sur le quai de Papeete. Sympa; avec un petit rhum en prime pour la route.

Vendredi 30 Juillet; le boulot avance bon train; sciage, ponçage, stratification, enduit, peinture: le quinté gagnant!

Nos amis Françoise et Henri sont arrivés hier matin avec leur élégant Lagoon 570, "Seawaver". Je suis assez fier, retrospectivement, d'avoir été l'artisan de la mise en oeuvre de cette série quand je travaillais pour Lagoon, à Bordeaux. Ce sont de très bons canotes. Comparativement à ce qui se fait aujourd'hui.....ouille, ouille, ouille. "Fait à Bordeaux".....le dieux de la construction navale a omis de demander à son pote Bacchus la recette pour faire des produits qui se bonifient avec le temps.....dommage. Bah, je me console en pensant que ça crée des emplois......si, en SAV. Enfin, comme on dit: "on ne peut pas casser d'omelette sans salir les oeufs".