mercredi 21 octobre, nous quittons Aruba. La quête de clearence de sortie s'avère particulièrement ardue. Coté douane, pas de souci, mais, pour ce qui est de l'immigration, c'est plus gonflant. Déjà, le gugus galonné qui tamponne les passeports est absent; appelé par téléphone par un quidam moins galonné, et donc non habilité à manier le tampon, il nous laisse poireauter une heure, pour finalement décider de ne pas venir car son administration de tutelle n'a pas de bagnole à lui confier pour venir.....mais sans nous le dire bien sûr! Il nous reste la sympathique solution de nous rendre en dinghy au poste d'immigration du port de commerce de Barcadera, une bonne dizaine de kilomètres dans l'Est; contre le vent, le clapot qui va avec, et un petit courant, la "balade" nous amène gentimment à 13 heures, l'ensemble de l'opération ayant débuté à 9 heures. Nous prenons la mer en milieu d'après-midi dans des conditions de rêve: 15 nds de vent dans le dos, génois et gennak établis en ciseaux. Belle nuit étoilée. La côte colombienne nous apparait au petit matin, basse et aride, à la pointe nord du pays. Virage à gauche, direction Cabo de Vela, puis le vent mollit.....pour réapparaitre ensuite nettement plus nerveux; il nous accompagnera jusqu'à notre destination, atteinte en début d'après-midi. C'est une immense baie, plutôt décevante, encombrée de très nombreux filets de pêche qui nous obligent à mouiller un demi-mille au large, au milieu de rien. C'est très venteux, et le rude clapot nous décourage de mettre le Newmatic à l'eau. Ce premier contact avec la Colombie nous déçoit un peu; donc, repos, un petit massage à Malou, et ça ira mieux deux mains (comme disent les kinés ).

Le vent est tombé pendant la nuit, et, inévitablement, le canote a évité sur son mouillage, attrapant au passage le filet de pêche le plus proche ( en même temps, c'est un peu logique qu'il n'ait pas chopé celui qui est à 200 mètres.....). Une misérable pirogue en bois d'arbre s'approche, équipée de 2 pauv gars qui tentent de tirer profit de l'incident. A peine réveillé, je cramponne masque et tuba, et me voilà à l'eau, démélant leur bazar pris dans les safrans. Y a pas de casse; de plus, j'ai bien l'impression que le filet n'est même pas à eux. Malou leur offre un verre de café et une cannette de bière à chacun, et tchao bye. Ce petit évènement nous motive à appareiller sitôt avalé le p'tit déj. Route moteur, vent nul. Par chance, une douzaine de noeuds de "thermique" en cours de journée nous épargnera quelques litres de gas-oil; mer étrange par ici: nous traversons des "nuages "de méduses au look champignons de Paris hypertrophiés; le genre que tu fais le repas du Dimanche pour toute la famille avec un seul champignon; les aiguillettes se prennent pour des poissons volants; elles jaillissent des flots et se maintiennent au dessus de la surface sur plus de cent mètres grace à un frénétique frétillement de la queue ( ça laisse réveur ça, non?).

samedi 24 octobre, réveil à 6 h pour partir au petit jour, après la nuit de sommeil passée "mouillés en mer" à Riohacha, car il n'y a aucun abris. C'est encore du petit temps, et nous faisons route voile et moteur à 6 nds. Malou s'affaire à briquer les inox; à droite, vers le large, le ciel est plombé, menaçant......ça se rapproche......ça y est! le vent monte à 25 nds en quelques secondes, pour s'établir aux alentours de 20 nds; nous établissons une voilure prudente; la mer se creuse; ça dure 2 heures, et il faut de nouveau avoir recours à la mécanique pour atteindre, avant la tombée de la nuit, la quiétude de la superbe baie de Gairaca, où nous sommes le seul bateau de voyage. Une petite plage avec, au fond, quelques maisons blotties en lisière de la Sierra Nevada; c'est montagneux, sauvage, avec un soupçon de civilisation qui se manifeste dans les flonflons d'une trop forte sono du samedi soir; au premier abord, ça nous plait.

Dimanche, nous cheminons pedestrement à pieds sur la route bitumée, en direction d'un promontoire qui offre un point de vue exceptionnel sur la baie; elle est certes bitumée cette route, mais ce n'est pas un revêtement comme d'habitude....celui-ci a un look "paysage lunaire", avec moults cratères, crevasses, bosses, et toute cette sorte de choses; on dirait la surface d'une meule grossie mille fois....en contrebas, la plage exposée nord-est recueille perpétuellement tout ce que la mer lui apporte comme bois flotté et cochonneries en plastiques diverses, formant, derrière l'écume des vagues, une frange qui occupe toute la largeur du ruban de sable. Rejoignant le hameau de Gairaca par l'unique chemin de terre, nous retrouvons notre nouvel ami Reinaldo pour bavarder, une petite mousse en main, assis devant sa baraque. Le banc, c'est son ancienne pirogue de pêche retournée et calée; Reinaldo est pauvre. Du moins, sur le plan pécunier, car ses qualités de coeur sont grandes et c'est un homme digne. Sa maison de planches disjointes au sol cimenté n'a pas le moindre confort, cependant, c'est exceptionnellement propre et ordonné. Pourtant, il n'a ni eau ni éléctricité, et les tôles de son toit son si rongées par la rouille qu'il l'a presque intégralement doublé d'un patchwork de bâches plastiques. Il nous fait l'amitié de nous accompagner en forêt pour une visite guidée; il y avait un village indien sur ce site, il y a plusieurs centaines d'années; en creusant le sol, on trouve facilement quantité de poteries, de céramiques, de bijoux en or et colliers, ainsi que des ossements humains. Nous voyons pour la première fois des ébènes sur pieds; il y en a des quantités ici, de même que des singes, des antilopes, des tapirs, des guépards....c'est plein de bestioles tout ça, mais difficile de les voir. Cette baie, ainsi que ses voisinnes, possèdent une particularité peu attrayante: bien qu'elles offrent de bons abris pour les vents dominants et même pour la houle du large,elles sont sujettes aux "pamperos", ces rafales catabatiques qui dévalent les montagnes avoisinnantes à plus de 40nds pour venir troubler la quiétude du marin, ancré là pour être peinard.

mardi 27 octobre; la rencontre du jour: cheminant de ce pas alerte et décidé qui nous caractérise, dans la forêt, en direction de l'anse machin, dont la plage regorge de cette graine que Malou appelle "oeil de boeuf" et qui semble posséder des vertues rares pour fabriquer des colliers, nous tombons presque nez à nez avec un jeune jaguar, en arrêt devant nous, tel une peluche de noël, l'air aussi étonné que nous. Le temps que Malou saisisse son objectif, le rusé animal augment la distance entre nous à pas feutrés et souples, genre "je me barre pas, c'est juste que c'est par là-bas que j'ai à faire...."; on peut le voir sur la photo, mais, de loin.

jeudi 29 octobre; avant hier, un groupe de 4 bateaux naviguant en convoi, est venu s'installer ici pour quelques jours; nous connaissons déjà plusieurs d'entre eux, et c'est l'occasion de se retrouver tous dans le cockpit de Catfjord pour un petit gorgeon. Ensuite, il est temps de passer à l'escale suivante. J'ai installé le gennak sur 2 pantoires réglables pour pouvoir déplacer l'amure, et je suis impatient de tester cette nouvelle disposition et de voir si ça convient bien à l'usage. Ben, c'est pas avec ce trajet-ci que je vais tester grand-chose, car il n'y a encore pas de vent. Route moteur vers Rodadero. Mouillés devant une volée de vilains hotel/immeubles carrés, les curieux en pédalo se pressent autour de nous, un peu envahissants; nous dérapons rapidement pour aller poser la pioche 500 mètres plus loin, hors de leur portée....mais ça ne suffit pas à nous assurer tranquillité et sécurité; une heure plus tard, une vedette de la police maritime vient nous déloger aux motifs que l'endroit est à la fois interdit et insécuritaire; ils nous intiment l'ordre de dégager immédiatement pour aller dans la baie de Santa Marta, devant laquelle nous sommes passés ce matin même. Nous ne sommes pas des contestataires dans l'âme, et, comme il n'est que 15heures: moteurs! à virer le cabestan, dérapage immédiat, direction Santa Marta. D'ailleurs, pourquoi pas? nous sommes motivés pour aller visiter son église du XVième siècle et faire quelques vivres. A 16h30, l'ancre descend dans 3m50 d'eau, à proximité du port de commerce, juste devant la "cuidad". Porvou qué la noui soit doulce.....c'est important. Elle le sera.

samedi 31 octobre; le mouillage de Santa Marta est très convenable. La proximité du port de commerce, loin de nous déranger, m'enchante: ça me rappelle ma jeunesse de marin sur les cargos..... Cette ville d'un demi million d'habitants est une des plus ancienne du pays et ne manque pas de centres d'intérêt: le musée etnographique est particulièrement captivant, décrivant un point de vue sensiblement différent de celui des Européens. Ces terres, que Christophe Colomb a fait découvrir aux occidentaux, étaient habitées depuis 15000ans, par des gens qui cultivaient un art de vivre en société qui est aujourd'hui l'objet d'études et même de convoitises. Plusieurs villages indiens abritent actuellement quelques milliers d'âmes dans les montagnes de la Sierra Nevada. Le quartier central de la cité a conservé de nombreux batiments et édifices de l'époque coloniale. Sur le front de mer, d'imposantes et majestueuses statues de bronze aux motifs incas rappellent la proximité et la parenté avec ce fascinant empire