Margarita: au mouillage de Porlamar, une cinquantaine de bateaux sont doucement ballotés par le petit peu de houle qui contourne la pointe et entre dans la baie. La ville aux hideux immeubles cubiformes rappellant la Costa Brava a peu de charme. Nous sommes venus ici pour nous mettre en règle avec les autorités du Vénèz. avant d'aller visiter les archipels Los Roquès et Los Avès dont les beautés sont partout vantées. Le carburant n'est pas cher ; nous devons en profiter. Par contre, les autorités locales ont bien compris que le "gringo" peut payer; aussi, il y a 2 tarifs. Nous nous rendons à la station de carburant des pêcheurs, le "newmatic" encombré d'une vingtaine de bidons vides; le préposé nous demande notre nationalité, à dessein de nous appliquer le "tarif international"; je lui réponds cool:"yo soy Margariteno".....il rigole grassement et dit que ce n'est pas possible d'avoir le prix des péchous; "ok, nous irons avec nos bidons à une station en ville, en taxi"; le gars dit:"bon, bon , je n'ai plus de gas-oil ce soir; revenez demain matin, je vous fait le prix des pêcheurs". On l'a fait; résultat: bingo! 360 litres de gas-oil pour 2,3 euros!!!!! (on a voulu le refaire le lendemain, mais ça ne marchait plus: le chef était revenu; c'est chiant les chefs......). Tellement nous étions contents, nous avons donné au gars un pourboire égal à 60% du montant du gas-oil! ( mais on ne s'est pas ruiné: ça faisait environ 1,5euros).

Nous avons repéré 3 voiliers équipés de navigateurs solitaires, qui naviguent de conserve, et font , semble-t-il, un trajet qui ressemble au notre; pour faire un peu connaissance, nous abordons l'un d'eux qui nous dit:" hier nous avons mangé tous les trois ensemble au restau, et mes 2 potes sont malades aujourd'hui"; comment se fait-ce? c'est le seul qui n'ait pas bu d'eau, et tous les trois sont brestois.....tout le monde sait très bien qu'un brestois c'est pas fait pour boire de l'eau.....Y z'ont pas été prudents les gars. Nous les avons invités à venir boire un coup à bord si jamais on se revoit.....

Ce jeudi, une nouvelle belle journée de navigation, avec rencontre d'une baleine, nous amène à Tortuga. Le nord-est de cette île recèle, derrière la "punta delgada", un mouillage de carte postale avec eaux turquoises, sable blanc, cabanes de pêcheurs, et aucun bateau sauf une barque de pêche. Tortuga est une île basse, au sol sablonneux, moquété d'une végétation rase de plantes grasses. Le hameau d'une dizaine de cabanes en bois abrite épisodiquement quelques pêcheurs, plus 2 familles sédentaires totalisant 6 personnes, dont Hugo, qui exploite avec son épouse une très jolie "posada" et un charmant bar-restau qui ne fonctionne que le week-end; de fait, la baie se remplit de bateaux dès vendredi; essentiellement des Vénézuéliens fortunés venant de Porto la cruz ou Caracas avec de puissantes vedettes; il y a également une piste sablonneuse où de petits avions débarquent, pour la journée et pour quelques milliers de dollars, de riches bourgeois de Caracas. Ainsi, ce petit bout-du-monde sauvage se voit-il régulièrement envahi d'une bande de robinsons dorés qui peuvent dépenser jusqu'à 4000 dollars pour venir y passer la journée en hélicoptère.....En venant de Margarita, j'avais remarqué que la mer était parsemée d'immondices, principalement des sacs et des bouteilles plastiques; effectivement, la côte Est de Tortuga, située au vent donc, est jonchée de cochonneries en plastiques, triste témoignage du manque total de civisme d'un paquet de gens.

Lundi 13 juillet: Los Roquès, nous y sommes! arrivés hier soir juste après le coucher du soleil, nous avons mouillé sous le vent de la "caille des français", un peu ballotés par une légère houle de nord-est; c'est absolument magnifique ici; un Eden! des dizaines d'îles basses protégées de la mer par un interminable "reef", chacune enchassée dans un écrin de sable blancs et d'eau turquoise; féerique! par contre, c'est plein de vénézuéliens friqués qui viennent ici en vacances ou en ouikène soit avec de grosses vedettes fortement motorisées, soit en avion ( de gros pollueurs donc; l'avion étant le moyen de déplacement le plus polluant par passager, et de loin.....cependant que le bateau à carène planante n'est pas mal placé non plus au palmarès des gaspis....j'imagine que les plus écolos d'entre eux se paient un peu de bonne conscience à 2 balles en faisant installer sur le toit de leurs bicoques quelques panneaux solaires et un chauffe-eau du même métal.....l'ensemble financé par un prêt à taux zéro.....non, je rigole, on n'est pas en France tout de même)

Cayo rata, îlot de sable blanc et mangrove, paradis des pélicans et des sternes qui y trouvent du poisson en abondance pour se nourrir; Los Roquès sont classées réserve naturelle, et il est interdit d'y pêcher ou chasser. Aujourd'hui, ballade à Gran Roque, caillou de 3,5 kilomètres de long qui héberge le centre névralgique de l'archipel; en fait, un bourg gros comme, disons, "Argentré du plessis" si vous voyez le genre. Gran Roque, c'est admirable; nous gravissons le sentier rocailleux qui mène aux ruines de l'ancien phare; tout au long du chemin, des panneaux pour touristes décrivent la genèse de l'île et son actuelle vététation; c'est plutôt aride comme endroit, avec plusieurs variétés de cactus dont le "cactus melons" qui s'orne d'une charmante fleur rose mutant ensuite en un petit fruit rouge, style radis, mais sucré, d'une saveur exquise ( ça me fait penser à un gros clito à la fraise......mais c'est n'importe quoi, je sais). Arrivés au phare, le point de vue est admirable; Gran Roque elle-même, avec sa partie Est très verte à cause de la lagune et de la mangrove adjacente, mais également l'ensemble de l'archipel qui s'étire au delà de l'horizon, délicieuse alternance de bleus de la mer et du ciel avec des franges blanches cernées de vert émeraude; c'est BEAU!

Le village de Gran Roque est fait de coquettes maisons basses très colorées, bordant des "rues" en sable, l'ensemble exotique/propret tout autant que touristique, ainsi qu'en témoigne le ballet incessant, matin et soir, des avions et hélicoptères. Il serait déplacé de s'en plaindre; nous ne parlons pas de tourisme de masse, la capacité d'accueil totale ne permettant d'héberger que quelques dizaines de bipèdes. L'avantage de ce tourisme ominiprésent, c'est que les autochtones ne sont pas miséreux; l'inconvénient, c'est qu'ils sont gras comme des ricains et aimables comme des ancres à jas.....( certains prennent un air mi-étonnés/mi-courroucés quand on leur dit bonjour dans la rue, alors que ce serait plutôt une règle de bienséance dans nombre de pays d'amérique latine)

Ce soir, mercredi 15 juillet, le spectacle est donné par des emplumés. Déjà, à peine arrivés dans cette grande baie abritée de l'île Crasqui, il y a 2 heures, pélicans et sternes ont immédiatement investi les 2 étraves du Catafjord ( les oiseaux de mer sont de grands amateurs de catamarans, car ça leur fait le double d'étraves pour se poser..... ce qui constitue ici un avantage significatif car il y a peu de bateaux). Au gré des déplacements des bancs de poissons, autour de nous, ces balourds de pélicans viennent par dizaines chasser leurs proies dans un plongeon si disgracieux qu'on pourrait croire qu'ils se sont vautrés, mais non, c'est leur technique; ils me font marrer ces bestiaux: un croisement de B52 avec un greffier dont la mère aurait fauté avec un canard; mais quelle efficacité à la chasse! quand ils sont posés sur l'eau, on dirait un peu des cygnes bruns, avec une crète noire derrière le cou, et qu'auraient trop poussés du bec; mais tellement trop, que l'appendice est devenu fastidieux à ériger, et, donc, au repos, celui-ci repose quasimment verticalement sur le jabot du palmipède ( je tiens à préciser pour les incultes que "palmipède", ce n'est absolument pas un homosexuel qui fait de la plongée sous-marine). Subséquemment, il est un peu forcé d'allonger son cou vers le haut, disons façon "porte-manteau", ce qui lui confère ce style empesé si caractéristique de certains habitués du barreau ( que l'on retrouve d'ailleurs aussi chez certains comptables.....) Bref, soudainement, je ne sais pas pourquoi, mais lui doit le savoir, pépère pélican déploie son imposante voilure, l'agite péniblement, s'aide avec les pattes style " j"essaie de courrir avec des palmes", puis arrive à prendre un semblant d'altitude, disons 4 mètres au dessus de l'eau, tourne la tête à l'équerre, et se ravise dans un improbable mouvement du corps qui donne à penser qu'il y retourne car il a oublié un truc......mais non; immédiatement après ce changement de trajectoire, pépère replie ses ailes dans le style des avions en papier qu'on faisait à l'école pour s'emmerder un peu moins pendant certains cours ( je ne dirais pas lesquels, j'ai trop d'amis dans le corps enseignant....) et se jette dans l'eau en allongeant son interminable cou, avec la grâce d'un stuka qui s'abime, touché par la d.c.a. alliée. Vu que notre bestiau est couvert de grosses plumes bien dodues, et qu'il s'élance de pas bien haut, il pénètre dans l'eau d'à peine plus que la longueur de son bec, chope quand même sa proie car la nature est bien faite, et ressort en marche arrière comme un bouchon à cause de ce salaud d'archimède qui l'a poussé......cependant, "c'est dans la poche" comme on dit chez les pélicans, les kangourous et les placentas....et notre chasseur intrépide reste peinard posé sur l'eau dans son attitude pensive pendant quelques secondes, puis lève le bec au ciel, dirigeant, ce faisant, son poisson vers les sucs digestifs dans lesquels il va mijoter dorénavant, non sans avoir, au préalable, transité par le long cou ambiance "tunnel de la mort" ( ça doit pas être toujours marrant la vie de poisson, mais aussi, il aurait pû faire gaffe; ça se voit quand même un pélican....les gens sont distraits des fois....). Je vous le dit sans arrière pensée, le pélican c'est fascinant, car ça réunit un mélange de lourdeur et d'éfficience qui me troue le jabot. Ici, les péliconos semblent souvent faire équipe avec des dizaines de sternes élégantes et gracieuses comme des petits rats de l'opéra ( à ne pas confondre avec certains gros rats de l'apéro dont l'élégance est nettement moins évidente.....); je n'y connais rien aux moeurs de ces bestioles, mais j'imagine qu'ils se complètent; peut-être que les sternes ont une vue plus perçante pour déceler rapidement où sont les proies; ceci dit, ici, le poisson est tellement abondant que je pense que même les plus maladroits de ces volatiles parviennent à se nourrir convenablement; peut-être bouffent-ils un peu plus tard que les autres, ou alors ils se contentent de bas morceaux.....je ne sais pas, mais ils bouffent, ça c'est sûr.

Je pense à un truc vaguement inquiétant au sujet du pélican: mettons qu'il ait une petite carence gastrique le bestiau, qui fait que ses acides ne parviennent à dissoudre que la chair des poiscailles qu'il ingurgite sauvagement, mais pas les arêtes......eh ben, au moment de la grosse commission, ça va lui mettre le trou d'balle dans un sale état, que j'me dis...... Tchernobyl à coté, c'est la foire du trône....rien que ça, ça donne pas trop envie d'être un pélican, surtout avec des embarras gastriques.

Une journée aux Roquès:

7h30: après 3 ou 4 coups d'oeil au réveil, dont le premier vers 6h au lever du jour, je me décide à aller préparer le ptit déj; le voltmètre du tableau de bord indique 12,5 volts; super, l'éolienne a bien bossé pendant la nuit, je peux faire le café avec l'énérgie des batteries; il n'a pas plu, le ciel est dégagé et le soleil chauffe déjà bien, je dresse la table dans le cockpit et réveille Malou; tout autour de nous, c'est un décor de rêve; dans l'eau turquoise, les poissons, assidûment pourchassés par des qui veulent les bouffer, jaillissent de toutes parts et déclenchent le ballet des volatiles qui entendent bien en croquer aussi. Une mouette se pose à 2 mètres de nous sur le capot de la salle de bains. 9h30, après la toilette, je prépare le pain, met en marche la machine magique alimentée aussi par les batteries chargées au soleil et au vent, puis saisis l'annexe car nous changeons de mouillageaujourd'hui. Après une heure de navigation au portant sous génois seul, que je ne connais rien de plus peinard comme navigation, nous parvenons dans un autre endroit féerique bien que différent tout de même; la découverte, à pieds, de l'environnement, plage, mangrove, reef, nous procure à chaque fois le même émerveillement....12h30, nous rentrons à bord déjeuner, car la pêche a été fructueuse ces derniers temps et le frigo est plein de filets de bonites et barracudas; 14h30, une petite plongée dans un endroit repéré le matin, histoire de remplir les yeux et l'appareil photo de perroquets, poissons clowns, poissons chirurgiens, balistes, et même de langoustes, trahies par leurs antennes dépassants des trous où elles se planquent. Partout, les rivages sont jonchés de corail mort, ce qui est désolant; par contre, bonne nouvelle, il commence à repousser par endroits....De retour au Catafjord, Malou trie les photos de la journée sur son ordi (toujours alimenté par les panneaux solaires et l'éolienne), cependant que je rédige ce journal en sirotant une bière fraiche, ce qui nous amène gentiment à l'heure de la belle lumière.....laquelle, associée à un apéro léger nous confirme qu'on n'est pas les plus malheureux. Quelquefois, après le dîner que Malou prépare avec grand talent, on se mirre un petit film; entre le grand écran monté à St Martin, et notre installation hi-fi, on est carrément au ciné!...mais toutes les journées ne sont pas identiques: des fois, on plonge le matin, ou bien pas du tout, et c'est une marche à l'intérieur de l'île.....et puis il y a le massage: depuis que l'ouvrage "le massage au quotidien" a sa place dans la bibliothèque du bord, Malou a droit à son "pétrissage" quasi quotidien...

c'est son anniversaire aujourd'hui; je l'ai amenée à "cayo dos moquises", un île minuscule dont on fait le tour à pieds en moins d'un heure; elle abrite un institut océanographique qui s'occupe, entre autres, d'élever des tortues pour les relâcher en mer lorsqu'elles sont presque adultes, ou, en tous cas, qu'elles sont mieux armées pour échapper à leurs prédateurs ( dont l'humain n'est pas le moindre ); on peut visiter: les petites bestioles sont dans des bacs polyester, par taille et par catégories, et des panneaux explicatifs donnent des détails sur le sujet; ainsi, on peut se culturer et c'est bien. Sinon, il a été découvert ici, sur cet îlot, des vestiges archéologiques qui ont plus de trois milles ans! un petit musée a été installé à l'endroit des fouilles; on peut continuer à s'instructionner....et ça continue d'être bien.

Un de nos passe-temps favoris est d'arpenter longuement les innombrables plages de sable blanc qui frangent la plupart des îles; quel plaisir de déambuler ainsi dans cette nature peu hostile, au milieu des crabes qui s'enfuient à notre passage, et des petits lézards qui en font autant, mais dans l'autre sens ( sauf ceux qui veulent se jeter à l'eau de désespoir, mais ils ont tellement la belle vie ici que les cas sont rares je crois ); on y fait de singulières rencontres, comme ces oisillons, fils ou filles de sternes à peine sortis de l'oeuf, ou ces jeunes tortues farouches mais nénmoins curieuses qui sortent la tête de l'eau à quelques mètres de nous avant de replonger vivement comme des gourdasses dès qu'elles nous aperçoivent, bonjour la convivialité. Certaines îles sont si sauvages que les seules traces humaines sont les hideux immondices à base de plastique que la mer a apporté...sur celles qui reçoivent des pêcheurs saisonniers, ils ont érigé des amers remarquables en emplilant pierres vocaniques et fragments de corail mort qui forment ces originaux monticules côniques leurs permettant de se repérer de loin ou par mauvaise visibilité, style "ptit poucet de la mer, mais en plus gros".

mercredi 29 juillet 14h: l'épisode "Robinson aux îles Vénèz" s'achève. Après ces quelques derniers jours seuls au mouillage dans les Avès, en pleine nature, nous avons repris la mer ce matin, et l'île Bonaire, ex colonie hollandaise est par notre travers nord. Plate dans sa partie sud et pourvue de monticules de seulement quelques centaines de mètres dans son nord, elle a déjà pour nous un parfum de retour à la modernité et à la civilisation, avec ses marais salands, aux pyramides blanches et engins de ramassage imposants, son beau phare en pierre bien massif et sans aucun doute en état de fonctionnement, et une tourtelle métallique pas rouillée du tout pourvue au sommet d'un aérien de radar qui tourne inlassablement. J'empanne pour tourner à droite, et nous voilà sous le vent d'une superbe plage; de nombreux kite-surf tricotent un ballet de papillons dans le ciel, cependant que les coasts-guards nous abordent introduisant poliment mais fermement une demande de monter à bord pour inspection....je m'occupe de la conduite du canote, et madame fait la visite; ils soulèvent les matelas, fouillent dans les placards, s'attardent un peu à la page des culottes ( la dernière ruse chez les trafiquants, c'est de planquer de la blanche dans le double-fond des calbars, mais chut!!!! je ne vous ai rien dit ); j'en rigole maintenant, mais heureusement qu' ils n'ont pas vu ma réserve d'apéro sinon, j'allais au trou direct...voilà, quand je vous parlais de retour à la civilisation..... nous y sommes.