mercredi, 5ème jour de mer:

nous sommes bien amarinés; les rythmes de sommeil entrecoupé sont admis par nos organismes, le temps est magnifique: c'est la belle vie. Après quelques hésitations, nous nous sommes calés sur des quarts de 2h30 qui semblent bien nous convenir.

Nous avons quitté le monde des terre-à-terre samedi , avec l'intention de faire une ultime escale brésilienne à Camocim, distante d'environ 160 milles de Fortaleza. Le vent est soutenu (20 à 25 noeuds), et la mer agitée, mais c'est tout de même relativement confortable, car nous faisons le trajet au vent arrière sous génois seul. Vers midi, arrivés devant l'entrée de la rivière, même scénario qu'à Aracaju: passage d'entrée étroit, non balisé, et bordé de récifs; la décision est vite prise de ne pas entrer et de continuer......vers la Guyane.

la grand-voile est envoyée à 2 ris, et "roule ma poule", c'est reparti dans 25 à 30 nds de vent et une mer assez forte; la vie à bord s'organise gentiment au rythme des quarts. Après la 2ème nuit, ma ligne de traine nous offre un thazard d'une bonne douzaine de kilos et 1m10 de long! ça suffira pour tout le voyage; la ligne est aussitôt rangée dans son placard. C'est une ligne que j'ai fabriquée avant de partir sur un modèle que nous utilisions dèjà il y a plus de vingt ans, dont le leurre est un simple bout de cordage cousu à l'hameçon et décommis; il semblerait que les goûts culinaires des poissons aient peu évolués en 20 ans; ça marche encore plutôt bien.

Malou décortique la bestiole, case tout ça dans le frigo, et constate: "c'est quand même pas commun: on va rentrer de croisière avec le frigo plus rempli qu'en partant!".

Au fil des jours qui passent, le vent mollit de plus en plus. Nous renvoyons la toile, mais il semble inéluctable qu'il faudra s'aider des moteurs dans quelques heures. Dommage, car c'est une grande félicité que d'avancer seulement poussés par le vent dans cet environnement magnifique, serein, grandiose, impressionnant et apaisant en même temps.....

Nous avons aperçu des baleines, et, hier, les dauphins nous ont accompagnés plusieurs heures durant. De temps en temps, les prédateurs qui chassent font jaillir de la mer des gerbes de poissons volants en un genre de feu d'artifice horizontal....

Depuis 2 jours, nous voyons très peu de bateaux; par contre, au début de la croisière, il a fallu être très vigilants les premières nuits, car il y avait plein de petits pêcheurs mal éclairés; ils n'ont jamais de feux de route réglementaires; tout au plus une loupiote blanche que l'on distingue tardivement entre 2 vagues.

Le plus extraodinaire, ce sont les jangadas; ces embarcations d'origine très anciennes sont, en fait, de simples radeaux composés de 4 troncs d'arbres au bois tendre et léger, réunis entre eux par 2 chevilles; elles portent une voile triangulaire sur un mât fait d'une branche d'arbre, courbe dans le haut. Le "jangadino" qui manoeuvre l'engin est assis à l'arrière sur un petit banc de bois et se débrouille de maintenir tout ça en équilibre, avec l'aide d'un ou 2 compères, malgré les vagues qui submergent fréquemment leur esquif. L'avantage, c'est qu'ils ont les pieds lavés gratos tout le temps; l'inconvénient, c'est que ça manque un peu de confort pour espérer amener des copines en croisière....tout ce qu'ils ont là-dessus, c'est un seau suspendu au mât, contenant un peu de nourriture et d'eau, et un panier à poisson! pas de magnétoscope, pas d'autoradio, pas de sèche-cheveux.....rien!

N'empêche qu'ils vont loin en mer, et il n'est pas rare qu'ils y passent la nuit; et, il faut les voir filer sur l'eau; ça traine pas! et puis l'avantage: ils sont jamais embêtés avec les chiottes bouchés....

Vendredi 12:

nous sommes en vue des cotes guyanaises, et nous naviguons sur un lac; les 2 moteurs ronronnent, et les voiles sont rangées depuis quelques heures. Hier, au début de la nuit, Eole nous a gratifiés d'un grain vigoureux avant de se retirer en douceur (comme disait la jeune mariée), et il a fallu recourir à la mécanique pour continuer d'avancer.....

depuis presque 2 jours, nous bénéficions d'un courant portant qui avoisinne les 3 noeuds; ça c'est plaisant! avec 10 à 12 nds de vent, le gps indique une vitesse de 9 nds sur le fond; très satisfaisant comme sentation; à peu près autant que l'amertume qu'on doit avoir dans l'autre sens....fort heureusement, celà ne nous concerne pas.

Malou s'affaire à ranger et nettoyer son intérieur; dans quelques heures, ce sera le retour au monde des vivants, après ces 6 jours passés en mer; en même temps que l'absence de vent, la chaleur est lourde: dans le cockpit, nu, assis à écrire à l'ombre, je transpire à grosses gouttes.

vendredi, 17 heures:

nous arrivons à dégrad des Cannes, à l'issue d'une croisière sans souci. Sitôt l'ancre crochée au fond de la rivière Mahury, commencent de chaleureuses retrouvailles;

avec nos amis Sylvie, Eloé et Richard qui sont en escale ici depuis une semaine, puis avec nos babordais chéris, revenus de France pour chercher du boulot (ça n'a pas l'air évident);

en attendant, ils viennent habiter leur coque babord pendant une quinzaine, comme au bon vieux temps:

on va commencer par faire un peu de tourisme ensemble;

Cayenne: l'ambiance est un mélange de Brésil et d'Antilles avec un peu d'Afrique; les gens sont décontracs, mais un peu moins spontanés à sourire que les bréziliens.

Dimanche:

tout le monde dans la bagnole de loc, direction Cacao; cette bourgade située à environ 60 km à l'intérieur du pays est principalement habitée par une communauté asiatique: les Mhongs. Après sa triste époque du bagne au 19ème siècle, le village a été pratiquement abandonné, jusqu'à ce qu'en 1977, un groupe de réfugiés politiques du Laos s'y établisse et développe ici une des plus importante activité agricole du pays. Ainsi, les Mhongs sont devenus les principaux fournisseurs de fruits et légumes du marché de Cayenne. Egalement, les femmes réalisent des broderies d'une qualité et d'une finesse remarquables.

Nous déjeunons de soupes chinoises, nems et samousas, assis sur un banc de bois à même les allées du marché, avant d'aller visiter le musée "planeur bleu". Le taulier nous y présente son impressionante collection de bestioles guyanaises; il ouvre une sorte de cage, plonge sa main, et la ressort avec une énorme mygales pleine de poils, un scorpion ou une araignées de 30 cm qu'il pose sur son bras en nous expliquant qu'ils sont certes venimeux, mais, pas méchants, et donc, si on les embête pas, y vont pas nous piquer! Nous, on décide de pas les embêter.......

Sur la route du retour, après un virage, Tintin freine et donne un coup de volant pour éviter une énorme serpillière qui barre la moitié de la route. Eh bien, c'est pas une serpillière du tout! c'est un paresseux qui traverse.......à son rythme......c'est-à-dire qu'il lui faudra plusieurs minutes pour ramper jusqu'à l'autre coté de la route et rejoindre la dense forêt tropicale omniprésente ici. C'est pas un énérvé le pépère. Je me marre doucement en imaginant un coït de paresseux...... peut-être qu'y s'endort pendant.....y faudrait pas qu'elle soit susceptible la paresseuse, sinon c'est extinction de l'éspèce.